Malmené tel un Yes-Man durant toute la production de Dune, œuvre qu'il désavouera, David Lynch gravit cependant rapidement les échelons de la reconnaissance, mais hélas pas assez pour être en mesure de livrer sur l'heure une troisième saison à la série Twin Peaks. Ce n'était que partie remise. Il le savait bien. C'est pourquoi il se lança dans la conception de Twin Peaks : Fire Walk with Me, prologue aux apparences horrifiques retraçant les derniers jours de Laura Palmer. Le film se montre bien plus violent et obscure que la série, trahissant ainsi chez cette dernière une forme d'autocensure ainsi que la prédominance de la patte du "modéré" Marc Frost. Les années passent. Le Maître du surréalisme s'endurcit avec l'antipathique Lost Highway, le pessimiste Mulholland Drive, et le crépusculaire Inland Empire. Puis en 2015, la saison 3 est annoncé. Enfin 2017 marque l'arrivée de cette ultime saison.
Comme on pouvait le prévoir Twin Peaks 2017 est autant une œuvre somme qu'une séquel. Cette saison est celle de David Lynch, ce qui aggrave plus encore le syndrome Marc Frost du Grand Oublié, tant l'on s'interroge sans cesse sur son niveau d'implication dans le projet. Le vieillard à la coiffure saugrenue ne veut plus mettre de gants et est décidé à remettre le public à sa place. "Vous voulez du Twin Peaks ? Vous aurez du Las Vegas !" Une sage décision, car rien n'est pire qu'une œuvre prise en otage par son public (Game of Thrones si tu me lis...). Par conséquent les trois premiers épisodes sont dépourvus d'un quelconque dynamisme, de musique, les dialogues sont minimalistes, les scènes s'étirent dans la longueur, de même que les plans, rappelant certaines scènes de Lost Highway. Lynch, c'est la science du silence, peu importe le moment, les personnages communiqueront avant tout par le regard. Leur désarroi, leur joie, leur surprise passeront par le regard. La multiplication des champs/contre-champs entre chacun d'eux leur permet de laisser libre court à leur émotion. Mieux encore, après avoir expérimenter dans le son, la photographie, les dialogues, la narration, la mise en scène, il s'est attaqué au montage en lui-même. L'étrangeté passe dorénavant par celui-ci, en résulte ainsi une scène comme le début de l'épisode 3, où l'avancé de Cooper semble entravé par une force invisible qui hache les images. Une magnifique représentation de l'humour Lynchien et dieu sait qu'il en a ! Mais ceci n'est pas gratuit, cette prise de position radicale permet la mise en place d'une atmosphère dépressive, obscure, fascinante. Par la suite, Lynch se montrera ponctuellement hilarant ("HELLOOOOoooooOOOO !") ou touchant (la scène dans laquelle Dougie passe la nuit devant une statue). En choisissant de distiller les émotions ça et là au milieu d'un océan de noirceur, Lynch leur permet une meilleure mise en valeur. Mais son génie réside en le fait de conjuguer noirceur, pessimisme, surréalisme, et émotion à la fois (l'épisode 18...). Dans le même ordre d'idée, la musique ne sert plus une ambiance jazzy/décontractée, mais est dorénavant vecteur d'émotion appuyant de la façon la plus onirique qui soit les moments clés.
Quant aux personnages, c'est une véritable mosaïque que nous propose Lynch : Douglas Jones, Bob, Gordon, Norma, Shelly, Becky et cetera. Les acteurs sont très nombreux, très prestigieux, et tous excellents (Kyle McLachlan, Tim Roth, Naomi Watts, Jennifer Jason Leigh, Monica Bellucci, etc...). A travers tout ceci, notre vieillard favoris dépeint la quête d'un homme progressant dans le milieu criminel (Bob), une jeunesse qui répète sans cesse les mêmes erreurs (Becky), une réalité absurde (Douglas), la reconquête d'un amour abandonné (Ed) entre autres.
En bref. Cette saison 3 marque la fin de la carrière d'un grand réalisateur, dont le cinéma est arrivé à maturité. Vous pensiez avoir tout vu avec Mulholland Drive, vous vous trompiez. Twin Peaks 2017 est l'un des plus curieux objet filmique existant : d'abord difforme, obscure, puis tel Elephant Man, sympathique voire émouvant...