La paternité soudaine est certainement l'un des thèmes parmi les exploités dans les œuvres de fiction, touchant tous les registres possibles et imaginables, avec une récurrence des mêmes problématiques familiales mais aussi parfois des dilemmes plus ancrés dans le contexte social et temporel des protagonistes.
Comment Usagi Drop ou un Drôle de Père parvient t-il alors à atteindre une telle universalité dans son propos tandis qu'il est pourtant ancré dans un Japon aux manières bien distinctes de notre culture occidentale et qu'il démarre de surcroît son récit de manière particulièrement farfelue?
En effet l'intrigue débute véritablement par la décision d'un trentenaire ordinaire choisissant d'adopter la fille illégitime de son grand père, à la mort de ce dernier ( sa tante donc sur le plan génétique), une adoption improvisée qui va bien évidemment chambouler le quotidien réglé comme une horloge de ce commercial.
Malgré son caractère farfelu, cette adoption improvisée est pourtant l'une des clés de la réussite émotionnelle de cette série animée. Elle implique en effet que le pauvre Daikichi n'aura pas le temps, contrairement à la plupart des parents, d'anticiper un minimum l'éducation de son enfant. Pas d'annonce d'une épouse enceinte, de préparatifs pour la venue du bébé et de concertations à deux pour prévoir toutes les démarches administratives, sanitaires, scolaires etc etc. En un an d'existence, Daikichi va devoir se montrer à la hauteur de cet apprentissage forcé, condensant toutes les réalités concrètes qui impliquent l'éducation d'un enfant en si peu de temps. Et si cet apprentissage condensé est une source de nombreuses fatigues pour le trentenaire commercial, il implique également que parallèlement à ses problèmes, il découvrira également toutes les joies de s'occuper d'une autre vie que la sienne, dans le même espace de temps réduit. Tout comme le spectateur également.
Un apprentissage que de nombreuses personnes refuseraient toutefois d'en assumer la responsabilité. L'individualisme social est ainsi au cœur d'Usagi Drop et concerne l'intégralité des protagonistes, généralement caractérisés par leur revendication d'une liberté individuelle ou au contraire par leur généreux don de soit, leur assimilation d'une pression professionnelle qui pousse instinctivement à négliger sa situation affective ou un regret de ne plus pouvoir profiter des libertés individuelles de la jeunesse, avant les responsabilités familiales.
En cela, le positionnement social du héros se veut directement tranché et constitue même le seul aspect remarquable de cet homme simple en comparaison de son entourage. Dès le début il se positionne contre le manque de compassion de ses proches qui refusent d'intégrer la fille illégitime dans le cercle familial. Il sera l'objet de moqueries pour sacrifier son ascension professionnelle afin d'offrir un cadre plus réconfortant à cette jeune fille, déjà privée d'un modèle maternel. Une position qu'il maintiendra pourtant farouchement, afin d'offrir la stabilité existentielle à la jeune fille débordante de spontanéité qui vit sous son toit.
Car il est maintenant temps d'aborder la réussite plus technique de cette série : rarement une œuvre d'animation (même cinématographique) aura réussi à retranscrire avec autant de justesse et de sincérité les échanges entre un adulte et son enfant. Si l'auteur du manga initial mérite le respect éternel pour la trame narrative ayant inspiré cette adaptation, un rapide comparatif avec l’œuvre originale suffit pour prendre conscience du gain qualitatif opéré par le passage en animation. Le choix des couleurs est déjà remarquable, avec cette utilisation d'aquarelles appuyant chaque première partie d'épisodes comme pour souligner visuellement l'éveil des personnages (parfois difficile pour le pauvre Daikichi), avec la perception floutée de l'environnement au réveil.
De manière globale, la série se veut généreuse dans sa colorisation, parfois au risque d'atteindre un aspect fleur bleue qui pourrait sembler rébarbatif mais qui est en réalité cohérent avec le basculement fréquent vers le point de vue de Rin, en décalage avec celui plus neutre de Daikichi. Un basculement qui a lieu plus fréquemment qu'il n'y paraît grâce à une merveilleuse exploitation des cadres pour retranscrire la différence de taille et de perception entre les deux personnages principaux. Enfin l'animation sublime l'interaction affectueuse entre ce tueur improvisé et sa fille adoptive, le tout formant une telle réussite visuelle qu'elle rend insupportable l'attente d'une éventuelle saison 2 qui exploiterait la deuxième partie inadaptée du manga sur l'adolescence de Rin.
Il n'y a pas grand chose d'autre à dire sur Un drôle de père sans basculer dans les spoilers inappropriés. N'attendez juste rien d'incroyable de cette série d'animation en termes de rebondissements dramatiques. Cette œuvre est simplement le récit des nombreux problèmes d'un homme simple dont le seul caractère exceptionnel est d'accepter courageusement de sacrifier son plaisir individuel au profit de l'enfant qu'il aime.
Car le sourire de sa fille est déjà suffisant à ses yeux. Et en tant que spectateur, il le sera également pour vous.