C’est assez étrange que ce soit l’objet qui nous intéresse ici qui vienne mettre fin à une longue période de silence critique (argumentée et un tant soit peu rédigée) observée depuis bientôt 7 mois.
D’aucun admettra qu’on avait rien demandé, tandis que d’autres se demanderont en quoi cela peut bien les concerner, je l’admets volontiers.
Eh bien voilà, c’est que le présent objet, de part ses aspirations, vient faire écho à une démarche qui m’est propre.
Figurez vous que, comme ce numéro de cétavipointcom vous l’apprend présentement, je nourrissais (et nourrit encore, pourquoi pas) l’ambition de produire, écrire, réaliser, et enfin présenter moi-même un média tournant autour des thématiques culturelles aux centres de mes intérêts ; ce qui inclus bien entendu le cinéma.
Je découvre donc ce que propose Victor Bonnefoy — a.k.a INTHEPANDA (traduisez ce que vous voudrez)— et ma foi, a priori la première approche a ce petit quelque chose en plus qui suscite au moins la curiosité.
Car ma démarche ici n’est pas de taper gratuitement, malgré une note franchement peu folichonne. Mon point de vue est ici celui d’une personne qui s’est frotté au processus en question. Je sais ce que c’est que de rechercher un concept (tâche ardue si l’on cherche l’originalité dans ce type de média/production), de faire des choix éditoriaux, de se creuser le bourrichon sur les questions de fonds et de forme, d’effectuer un travail de recherche et d’analyse, puis d’écriture de scripts, de se heurter aux aspects logistico techniques (si tant est que l’on ait envie de sortir du vlog cutté comme un épisode de Cyprien), et enfin de réaliser, dire son texte, recommencer, tâtonner, puis post-produire : montage, illustration sonore et visuelle, et j’en passe.
Alors non je ne suis pas ici pour cracher simplement sur Unknown Movies pour délit de sale gueule. En réalité si j’avais eu envie de cracher sans vergogne j’aurais choisi [censuré] ou bien LinksTheSun [ ah merde la censure n’a pas marchée ].
M’enfin évidemment, y a des trucs qui vont pas, sinon on serait pas là.
Commençons par ce qui ne fâche pas. Si il y a une chose qu’on ne peut reprocher à Victor Bonnefoy, c’est bien son ambition — disons, l’ambition de son émission. En sortant des sentiers battus (comprenez montage cut, perruques et coup de poing avec des mots écrits en lettres sur les doigts) il s’inscrit dans la lignée d’un certain François Theurel, plus connu sous le pseudonyme du Fossoyeur de Films (mais qui n’a rien inventé non plus); c’est à dire qu’il nous vend un concept, en l’occurrence un personnage marginal (soi-disant) bigger than life, qui nous invite dans un cadre surréaliste à savourer, en tant qu’invité, une petite séance privée pour initié, ce qui en cela n’est pas sans rappeler les heures heureuses des Contes de la Crypte (ou Alfred Hitchcock Presents pour pousser un peu les références).
D’ailleurs au début tout y est : le personnage sociopathe, le concept de présentation de films « inconnus » (oh oui je mets des guillemets, et j’y reviendrai), le cadre qui appuie le concept (une cave glauque dans laquelle à chaque épisode une victime se voit associée à la présentation d’un film), un générique cosy et qui a presque valeur de rituel ; tout cela fonctionne plutôt bien au début, d’autant que Bonnefoy peaufine son média, s’applique sur la forme. Il essaie (l’échelle de spoil par exemple), il écrit pour donner corps et cohérence (du moins au début) ; les introductions des premiers épisodes en étant une démonstration caractéristique.
Et par la barbe de Zeus, en replaçant le tout dans le contexte (âge du créateur, moyens matériels etc) ça fonctionne, car on sent bien l’ambition derrière, et c’est une chose louable.
Mais il arrive un moment où les ambitions se transforment en prétentions, et c’est précisément là que le bat blesse.
L’émission fonctionnait assez rapidement, malgré plusieurs aspects perfectibles (tout à fait normal, cela étant censé s’inscrire dans un processus de maturation), et notamment le concept des intros scénarisées qui étaient non seulement tout à fait honorables pour une production amateure, mais en plus donnaient corps au persona du présentateur. Une victime par film, dont on assiste au préalable à la capture, et qui s’en prend plein la poire au fil de la chronique, ça a vraiment quelque chose de savoureux, se rapprochant d’un plaisir coupable ; et surtout c’est efficace. Les épisodes sont concis, rythmés et ritualisés, tout est sur les rails.
Et à un moment, Bonnefoy semble pêcher par orgueil : s’ensuit une trame abracadabrantesque ( © Chirac) sur fond de traque policière. Je ne vais pas tout dévoiler (pour ceux étant tentés de regarder) mais l’émission alterne des moments dont on ne saurait dire s’ils sont boursouflés, maladroits, prétentieux, ambitieux, ou gênants. La scénarisation devient trop poussée et l’ensemble perd l’équilibre qui faisait son atout. On ne sait plus ce que l’on regarde, ni quel aspect, de la partie critique ou de la partie fiction, sert l'autre ; ce qui jette un voile sur les moments qui parviennent à insuffler malgré tout quelque chose d’intéressant. Et c’est à mi-saison que le malaise apparait, alors que l’un des épisodes les plus agréables et fluide est narré exclusivement en voix off.
L ’enfer est donc pavé de bonnes intentions. Mais pourquoi jeter les pavés dans la gueule du spectateur ? Car l’autre chose gênante dans la démarche…est la démarche.
En effet premièrement j’ai eu beaucoup de mal à valider la pertinence d’une attitude qui consiste à vouloir faire découvrir des films « inconnus » à un spectateur tout en lui spoilant peu ou prou l’intrigue complète tout en lui disant de sauter les spoils et donc rater du contenu et rendre de facto l’ensemble elliptique et/ou lacunaire. C’est un peu se tirer des balles dans le pied et c’est dommage. La question se pose : n’est-il pas possible (préférable?) de présenter un film et proposer une analyse qui puisse donner envie sans trop en dévoiler ? (C’était une question rhétorique.)
Deuxièmement, c’est le positionnement qui me gène. La démarche, encore elle, se veut didactique. Pas de problème. Mais alors pourquoi insulter le spectateur en prenant encore cette insupportable posture condescendante qui consiste à lui insurger d’arrêter de penser comme un mouton et de penser par lui-même, ce qui sous-entend bien ce que cela sous-entend (« Tu es con, jeune. Mais moi qui suis un penseur libre et indépendant je vais t’apprendre ce qui est bien. »). Ceci en plus implique de ne souffrir d’aucune contestation ni discussion (bonjour la qualité du débat avec une esprit libre et indépendant et voulant partager et apprendre au public à qui il s’adresse.). Se faire traiter de con ou de connard « parce que je fais et je dis ce que je veux et je t’encule blablabla » nuit à une réception positive du message dés lors que l’on a dépassé 13 ans, me semble-t-il.
La question se pose : n’est-il pas possible de s’adresser à son public sans s’asseoir sur une coolitude sur-jouée (je fais ici le distinguo entre l’attitude affichée et celle recherchée au travers du personnage). N’apparait-on pas plus « cool » en transmettant son savoir et ses opinions dans la décontraction et l’humour sans que celui ci ne s’appuie sur un rapport de force graveleux avec son auditoire ? La distinction entre didactique et leçon d’éducation enlèverait la prétention au geste de façon salvatrice. Enfin, c’est mon avis ; et je n’encule personne ne partageant pas mon point de vue. Question d’hygiène.
Enfin, je voulais revenir sur le concept général. Baptiser une émission « Unknown Movies » suppose de parler de films réellement inconnus, ou alors de définir les limites du concept de façon moins généraliste. Sinon il ne faut pas s’étonner, en présentant des péloches comme Cool World ou Intuitions de Sam Raimi de ramasser d’inévitables réflexions, au vue du média et du public, et ne pas se plaindre en balançant 2 ou 3 « je vous emmerde », parce que cela s’appelle donner le bâton pour se faire emmerder et n’avoir aucun argument pour s’en laver les mains (l’hygiène encore). Parce qu’une nouvelle fois, lorsqu’on a la prétention de vouloir faire découvrir des films inconnus et que l’on veut faire comprendre qu’il faut se faire une culture personnelle et une cognition iconoclaste, on creuse un peu et on cherche des bobines un tant soit peu plus obscures, ou controversées, ou subversives, ou provenant de cultures autres qu’anglo-saxonne, ou pourquoi pas qui aient été filmées avant les années 80.
Mais, non. Non, je ne crache pas sur Victor Bonnefoy/ INTHEPANDA, ni sur son émission, et ce malgré les défauts susmentionnés. Car il faut bien reconnaitre, aussi perfectible qu’elle puisse être, que « Unknown Movies » prend le parti pris de créer du contenu mixte, en transcendant les genres, expérimentant et allant au bout de son concept pour bâtir un univers. Cela dénote d’une certaine ambition, peu présente dans la catégorie pullulante des web émissions à la française. Et rien que cela justifie que l’on s’y intéresse un minimum, ne serait-ce que pour apprécier l’énergie et l’investissement d’un créateur sur un projet malheureusement plus balisé qu’il ne l’aurait peu être voulu, et peut être trop gourmand.
Et c'est bien connu : quand on a les yeux plus gros que le ventre on finit par gonfler.