Il y avait dans l'histoire vraie de la toute jeune Esther Shapiro s'évadant de la prison de ses origines familiales ultra-orthodoxes la possibilité de faire un très grand film, ou une très grande mini-série : un thème universel, résonnant parfaitement avec les thématiques contemporaines de l'égalité des sexes et des tensions croissantes entre le communautarisme religieux et la modernité des démocraties occidentales ; un casting remarquable, avec en première ligne, une Shira Haas au physique étonnant et à la justesse impeccable dans un rôle qui pouvait se prêter facilement à des excès histrioniques... Si "Unorthodox" ne dépasse pas le palier de la "bonne série", c'est que les scénaristes, qui sont partis du récit de la jeune femme pour lui imaginer une nouvelle vie à Berlin, poursuivie par son mari et un triste acolyte, ont largement "foiré" leur boulot.
Nous voilà donc devant une multitude de scènes quasiment parfaites sur la vie de la communauté ultra-orthodoxe de Williamsburgh (Brooklyn), qui trouvent le juste équilibre devant l'horreur abjecte que ne peuvent que nous inspirer ces rituels coercitifs insensés, et un profond respect pour tous les personnages de cette communauté et pour leurs croyances... ce qui est quand même un vrai défi, relevé de main de maître... Et d'un autre côté, un véritable gloubi boulga de scènes improbables, de situations invraisemblables, de considérations politiquement correctes accumulant dans un panorama façon Bisounours toutes les choses qu'on a envie d'entendre et de voir : le couple lesbien trop bienveillant, les jeunes musiciens affranchis par l'Art et le mécénat de l'état allemand des contraintes de leurs origines diverses, l'intérêt inflexible des institutions envers l'autre. Bien sûr, le grand méchant de l'histoire, lui fume, abuse de son téléphone portable, fréquente des prostituées, et fait copain-copain avec la mafia russe, en se baladant dans Berlin une arme en poche. Et notre héroïne (qui ne chante pas particulièrement bien, mais bon...) envoûtera littéralement, lors d'une scène "hollywoodienne" clicheteuse au possible, le jury de l'école de musique où elle postule : voilà le happy end idéal, elle n'aura pas besoin de travailler comme caissière, elle pourra vivre comme artiste de subsides de l'état. A ce degré de foutage de gueule, on ne peut qu'enrager devant le gâchis de cette "partie allemande" de l'histoire, alors que le récit de la réadaptation d'Esther aurait dû constituer la partie la plus riche de "Unorthodox"...
Il reste donc heureusement cette superbe chronique sur les épreuves que vivent les femmes soumises aux diktats religieux de leur communauté (toute la partie de la série sur la sexualité et la procréation est littéralement extraordinaire...), qui fait qu'on retiendra "Unorthodox" comme une véritable petite réussite. Le grand film sur cette "grande évasion" reste à faire.
[Critique écrite en 2020]