On croise beaucoup de poncifs dans ce film coupé en quatre, mais pas forcément là où on pouvait les attendre. On en sortira donc peut être partagé, entre reconnaissance et scepticisme.
La société recluse des dévots hassidiques de Williamsburg, claquemurée dans des Lois coutumières pétrifiées par l'Holocauste, entretient une certaine fascination des codes et nous est présentée selon les principes d'une altérité quasi documentaire.
On s'y laisse emmener, au gré des ablutions pittoresques, des âmes brutales et bienveillantes, des malaises confinés, des interdits iniques, des premières fois vite étouffées, des beaux mariages liturgiques, des héritages de toutes proportions mais toujours omnipotents, car tout cela est attendu. Avançant peut être de surprises en déconfitures, le spectateur passe-muraille lève un bout du voile pudique jeté sur ce monde auquel il s'est préparé.
Focalisée sur un petit quartier vigoureusement antithétique de Williamsburg, l'image printanière d'un Berlin aéré, toutes fenêtres ouvertes, saturée de tolérance, habité d'esprits épanouis dans des corps jeunes et bien faits, semble en revanche beaucoup plus suspect. Faut-il chercher une perception déformée, idéalisée, conçue par l'héroïne qui trouve là le paysage de son émancipation? Voilà une interprétation complaisante pour le moins douteuse.
On comprend cependant quelle rhétorique contradictoire est mise en oeuvre: à New York les rescapés du nazisme ont fondé un havre perclus de mémoires douloureuses, douillet, balisé, scandé, figé dans un passé aussi rémanent que hiératique.
Berlin, ville maudite de l'histoire juive parmi d'autres, apparaît au contraire comme une cité radieuse vigoureusement projetée vers l'avenir, oublieuse peut être, franchissant avec désinvolture les dernières marches d'une résilience collective qui conduit à un épanouissement généralisé.
Quels sont les signes conventionnels de ce bourgeonnement ultra-positiviste, paresseusement délayés dans une soupe de clichés touristiques? Ceux auxquels vont adhérer les spectateurs auxquels s'adresse cette fiction: Berlin est une ville de vélos, de parcs, de restaurants vegans, de nomenclatures hipster, de clubs électro, de gens aisés, bien dans leur peau, bien avec les autres, en phase avec l'air supposé du temps.
Tandis que le scénario semble se confondre en demi-teintes lorsqu'il s'attache à décrire la communauté ultraorthodoxe, et sans doute à juste titre, la désinvolture de son évocation berlinoise s'avère maladroite et compromettante. Un décor de pacotille, un fond vert sur lequel se détachent des personnages dépaysés par l'absurde.
Une posture regrettable pour l'édification pathétique d'Esty, de Yakov, de Moische et de quelques autres - personnages complexes aux motivations contrariées mais toujours légitimes, écrits et interprétés avec bonheur, qui méritaient une géographie, même symbolique, autrement plus scrupuleuse.
L'épilogue du film condense parfaitement cette aporie: une scène intime qui scelle l'impossible retour, mise en scène et interprétée avec une justesse déchirante, à laquelle succède une représentation banale du bonheur de vivre enfin, digne d'une brochure vantant un programme erasmus éternellement ensoleillé.
Dommage. La matière ne manque pourtant pas d'intérêt, la distribution est solide, de nombreuses séquences servent le récit avec beaucoup de justesse, mais l'effet de contraste recherché manque de nuance ou pêche par excès, comme pris de court par la contrainte d'un format trop ramassé.
Une poignée d'épisodes supplémentaires aurait peut être accouchée d'un script plus mesuré, et nous serions sortis de cette chronique avec quelque chose de beaucoup plus gratifiant à méditer.