À ce jour la série israélienne la plus chère jamais produite, Valley of Tears déploie avec une maîtrise équivalente à celle des productions américaines, une vision intime d’un moment iconique de l’histoire de son pays : la guerre de Yom Kippour. Grâce à une reconstruction millimétrée, Ron Leshem (scénariste de la version originale d’Euphoria) arrive à nous immerger dans l’urgence d’une époque où Israël aurait pu disparaître. Voir ce genre de récit quasiment pris sur le vif permet de rappeler que la guerre n’est pas qu’occidentale mais bien universelle.
6 octobre 1973, Yom Kippour va débuter. Six ans se sont écoulés depuis la guerre des Six Jours remportée par Israël. L’insouciance est générale. On se préoccupe plus de l’égalité des droits et des prochaines vacances, que de ce qui est en train de se dérouler aux frontières. Personne ne s’attend à une offensive combinée des Syriens et des Égyptiens en ce jour considéré comme celui du Grand Pardon. Tel un rouleau compresseur, les armées ennemies percent les défenses israéliennes. La défaite jugée impossible la veille est maintenant à portée de canon. Au front, les soldats doivent tenir face à des adversaires bien plus nombreux et préparés qu’ils ne le sont. La hiérarchie, dépassée par les événements, n’a qu’un mot à la bouche : « Tenir » coûte que coûte, peu importe les dégâts, peu importe les morts. Israël ne peut pas tomber.
Valley of Tears entremêle plusieurs destins bouleversés par une guerre aussi inévitable qu’inutile. La série prend le parti de s’intéresser uniquement à ce que doivent traverser les soldats présents sur le flanc Nord du conflit pour survivre. L’influence des productions télévisuelles Spielbergiennes de la fin des années 2000 que sont Band of Brothers ou The Pacific est palpable. Le point de comparaison se trouve dans l’humanité et la dignité qui se dégagent de ces hommes et femmes embarqués dans une guerre où ils ne représentent qu’un pion sur la carte de leur état-major. Chaque personnage respire une vérité humaine issue des centaines de témoignages recueillis par les créateurs de la série. Les drames deviennent authentiques et les morts bien réelles. Seul bémol pour un personnage traumatisé par la mort de ses compagnons dont les actions deviennent un peu trop irrationnelles dans une logique dramaturgique. La bêtise n’est jamais belle à l’écran.
Dans une fiction de guerre, le point de vue est central si l’on ne veut pas créer une œuvre de propagande. Encore plus lorsqu’on traite d’un conflit dont les répercussions se font encore ressentir aujourd’hui entre deux camps qui n’ont jamais réussi à trouver un point d’entente. La série se place bien évidemment du côté israélien mais ne retient pas ses coups envers sa propre nation en plaçant au centre du récit un trio de juifs membres des Black Panthers en pleine lutte contre les inégalités entre les populations séfarades et Ashkénaze au sein d’Israël, exactement de la même manière que leurs homologues noirs américains. Mais qu’en est-il des ennemis, ces Syriens réputés capables d’actes si atroces qu’on demande aux femmes présentes dans les avant-gardes de se retirer pour ne pas être capturées ? Menace quasiment fantomatique dans la première partie de la saison, ces syriens prennent en consistance à mesure de leur inexorable avancée. L’exemple le plus parlant se trouve au moment où un des protagonistes arrive à sympathiser avec un soldat syrien aussi perdu et terrorisé que lui, laissant entrevoir que derrière chacune de ces silhouettes menaçantes se trouve une famille et des amis qui guettent le retour de leur proche. Valley of Tears ne se veut pas l’étendard d’un pamphlet politique (même si son final désabusé doit faire grincer quelques dents) mais cherche surtout à retranscrire l’expérience humaine d’une guerre moderne.
Le titre de la série fait référence à la bataille la plus décisive de la guerre de Yom Kippour où une poignée d’Israéliens ont réussi à tenir bon pendant quatre jours face à une armée de chars, laissant le temps aux généraux de réorganiser leur défense et a posteriori gagner la guerre. Dans ce souci d’authenticité cher à Ron Leshem, des vrais tanks ont été utilisés dans les scènes de combats avant d’être améliorées par des effets numériques honnêtes mais pas toujours parfaits. Même si l’on ressent que l’échelle n’est pas aussi grande qu’elle devrait l’être et que la géographie des lieux est floue, la réalisation et le montage particulièrement dynamique retranscrivent avec brio l’intensité d’un combat de tanks. Chaque seconde qui passe augmente les probabilités de prendre un obus capable de mettre le feu au véhicule en un instant. On transpire et on crie avec l’équipage autant qu’on craint leurs moments de vulnérabilité. La musique atonale, proche de certaines compositions guerrières de Hans Zimmer, donne un cachet supplémentaire à ces instants où la mort peut surgir à tout instant, que l’on soit prêt ou non.
Valley of Tears scrute avec justesse une période de l’histoire de l'État d’Israël, encore trop méconnue des européens. Au vu de la réussite formelle de la série, on n’a plus qu’à espérer la mise en production de la deuxième saison annoncée comme traitant de la partie Sud du conflit. D'autant qu’en plus de donner une vue encore plus globale à la guerre de Yom Kippour, les destins de certains personnages sont restés sans réponse à la fin de cette saison.