Récompensé du Cristal d’Annecy, le plus grand festival d’animation au monde, Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary s’est vite inscrit comme la claque visuelle de l’année (hors films Pixar bien évidemment). Desservi par une distribution frileuse en pleine période de COVID, le film n’aura malheureusement pas connu le succès escompté, bien loin des résultats déjà décevants de Tout en haut du monde, précédent film du réalisateur Rémi Chayé. Ni l’un ni l’autre ne méritaient un tel accueil.


L’histoire de la vraie Martha Jane est devenue si floue à force de réécritures par les médias, les romanciers et par Cannary elle-même que les auteurs du film ont décidé de créer leur propre récit en s’inspirant des exploits futurs de la légende. Dans cette version, Calamity, la plus âgée de sa fratrie, traverse le pays pour se rendre en Oregon. Accablée par le décès de sa mère et un père alité, Calamity va devoir apprendre à se débrouiller seule dans un environnement où le danger rôde derrière chaque caillou. Les grandes plaines et forêts qui parsèment les paysages du film sont magnifiées par l’animation tout en aplat de couleurs au style à mi-chemin entre animation européenne et asiatique. Malgré un petit budget, le souffle de liberté propre à la nature de l’époque, objet d’une fascination obsessive pour des générations de colons, traverse tout le récit, sublimé par les mélodies à base d’instruments traditionnels composée par Florencia Di Concilio.


La France a toujours entretenu un grand respect pour le western. Les mythes et légendes du grand Ouest ont influencé une part importante de la culture populaire française. L’exemple le plus évident se trouve dans la bande dessinée avec des œuvres telles que Lucky Luke, Blueberry ou Les Tuniques Bleues. Au cinéma, le western français n’a jamais su s’imposer, si ce n’est par des échecs qu’il est impossible d’imputer à l’insensibilité du public pour le genre quand les films de Sergio Leone ou Clint Eastwood faisaient des scores démentiels au box-office national. Avec Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary, Rémi Chayé s’adresse à un public jeune et peut s’avérer comme une belle porte d’entrée pour une génération déconnectée de ce que peut représenter le western (la dernière grande exception étant Red Dead Redemption II). Il ne faut donc pas s’attendre à des fusillades contre des bandits assoiffés de sang mais plutôt à une vision intime et féministe de ce que représentait la vie d’une femme à cette époque.


Encore plus radical que dans Tout en haut du monde, Chayé dépeint la manière dont les normes sociales façonnent la condition des femmes et comment s’opère le rejet des individus qui cherchent à s’en extraire. Pour que Calamity puisse entamer son émancipation, il faudra attendre que son père se blesse gravement. En absence de toute forme d’autorité, elle pourra apprendre à monter à cheval, utiliser un lasso et, comble de l’hérétisme social, porter un pantalon. Cette différence, elle va la payer en étant accusée d’un crime qu’elle n’a pas commis de façon complètement arbitraire. Ici, pas question de compter sur la sororité féminine, qui voit d’un mauvais œil cette impertinente, aspirant à autre chose qu’à se marier ou ramasser les excréments du bétail. Chayé a heureusement le bon goût de s’éloigner d’un manichéisme à l’américaine en ne portant pas de jugement sur les membres de cette communauté. Personne n’est foncièrement mauvais (il n’y a d’ailleurs pas de réel antagoniste), c’est l'ordre social et religieux qu’on leur a appris à respecter qui les empêche d’accepter une autre manière de vivre.


Comme énoncé plus tôt, Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary est un film pour enfants mais, à la différence d’autres grandes œuvres d’animation, il peine à convaincre pleinement la part adulte de son public. Le manque d’enjeu se fait clairement ressentir dans son deuxième acte qui traîne en longueur malgré la durée assez courte du métrage. Les péripéties s’enchaînent mais on a du mal à s’attacher aux acolytes de Calamity campés par un casting de voix irritant qui ne cherche jamais à parler de manière réaliste pour l’époque. Par ailleurs, Il est difficile de ne pas comparer Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary à Tout en haut du monde tant la structure scénaristique des deux films est superposable. Là où le premier film de Rémi Chayé arrivait à faire ressentir toute la tension de la survie au Pôle Nord, ponctué par des moments d’une poésie rare, le deuxième donne l’impression d’un train sans arrêt ni obstacle vers un Happy End programmé à l’avance.


Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary est un beau petit film comme on en voit trop peu dans le milieu de l’animation. La direction artistique est le vrai point fort qui nous permet d’outrepasser les limites du récit et de sortir des carcans de la 3D dans lesquels beaucoup de studios finissent par s’enfermer. Si vous souhaitez prolonger votre émerveillement (ou possiblement celui de vos enfants), vous pourrez bientôt trouver la novélisation des aventures de Calamity en librairie par Christophe Lambert, auteur des séries Dofus et Wakfu et non pas le propriétaire d’un rire inégalable.


Critique originelle : https://www.lecroqueshow.com/post/critique-calamity-une-enfance-de-martha-jane-cannary-pourquoi-imprimer-la-l%C3%A9gende-quand-on-peut

mangaone15
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le 27 mars 2021

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