Cette critique, (et bien d'autres), illustrée par de jolies photos, est disponible sur https://www.epistemofilms.fr/post/vampires-critique-analyse
Doïna a toujours grandi avec la certitude qu’elle n’était pas comme « eux », ceux que sa mère a fui pour protéger sa famille, les mettre à l’abri, dans le quartier de Belleville. Scolarité et sorties entre amis rythment le quotidien de cette jeune lycéenne apparemment ordinaire, mais qui cache en réalité un terrible secret : celui de ses origines, mi-vampire mi-humaine. En arrêtant de prendre le traitement censé réfréner sa nature "vampirique", le personnage se découvre des pouvoirs et des pulsions qui redéfinissent ses capacités, et questionnent son identité.
On voit bien comment la série, à travers cette amorce de transformation, pourrait symboliser le passage d’un état à un autre propre à l’adolescence, le goût du sang se confondant avec l’éveil à la sexualité. Néanmoins, les scénaristes ont fait le choix de ne pas uniquement aborder cette étape transitoire par le prisme du biologique. La série propose aussi une réflexion sur la composante culturelle et les logiques d’appartenance communautaire inhérentes au processus de construction identitaire.
Les deux premiers épisodes de Vampires s’intéressent à l’initiation progressive d’un personnage confronté à la découverte de capacités nouvelles. Ce type de schéma est assez classique, mais surprenant pour une série sur ces figures maléfiques. Il renvoie davantage aux nombreuses productions super-héroiques qu’au genre du film de vampire. Nous avons donc un récit structuré autour de la révélation d’un pouvoir arrachant l’individu à son monde ordinaire pour le faire entrer de plain-pied dans une réalité extraordinaire. Il s’agit alors pour le personnage d’être à la hauteur de sa nouvelle nature, en apprenant à la maitriser. Cet imaginaire « super-héroïque » est donc irrémédiablement annexé à l’imaginaire individualiste contemporain, où la pleine réalisation de soi suppose de constamment s’élever, d’être supérieur à la masse de ses semblables.
Mais la figure du vampire permet de complexifier le rapport à la nature « surnaturelle » du personnage et ce, pour deux raisons. Premièrement, au niveau des pouvoirs eux-mêmes, la puissance du vampire est constamment contrebalancée par les malédictions qui pèsent sur sa condition. Celui-ci vit la nuit et se nourrit exclusivement de sang, ce qui de facto l’éloigne de la normalité et le maintient dans la monstruosité. En conséquence, le vampire ne peut prétendre au statut de héros, car il n’est pas un être d’exception, mais d’exclusion : l’homme ne le conçoit pas comme un prolongement hyperbolique de sa nature (à la manière d’un super-héros qui hypertrophie les qualités humaines), mais comme un monstre intrinsèquement différent. Deuxièmement, à cette impossibilité héroïque s’ajoute l’abolition de la notion même d’individu chez les vampires, entièrement recouverte par un idéal communautaire. L’ethos du héros, symbole de la liberté et de la toute puissance individuelle, est donc par définition incompatible avec un mode de structuration sociale qui aliène la liberté de ses sujets en faisant primer les intérêts du collectif, de la « communauté », sur l’individu.
Ainsi, si Doïna peut désormais ébahir l’assemblée, taper dans l’oeil de celui qu’elle aime avec des pirouettes acrobatiques, ou encore humilier sa rivale grâce à sa force surhumaine, elle sait que ses pulsions de dévoration et l’appel de la « communauté » mettent en jeu son appartenance au monde des humains. Elle est donc tiraillée, à la fois horrifiée et fascinée par cette part d’elle-même qui n’a jamais eu droit de s’exprimer. Cela la pousse à se situer, à redéfinir son identité, alors même que sa mère l’a élevée dans le rejet et le déni d’une partie de son héritage. Et c’est il me semble ce qui fait l’actualité de cette série ; le tiraillement de Doïna renvoyant sûrement à la difficile recherche d’affiliation identitaire dans nos sociétés contemporaines.
Doïna est une enfant métisse.Sur ses épaules pèse la pression d’une communauté (les vampires) qui, au nom d’un patrimoine biologique commun, revendique l’appartenance de facto du personnage à une culture qui n’est pas la sienne, mais qu’elle espère découvrir. La question des racines, à la fois propre à Doïna et à son frère Andréa, est donc centrale. La série cherche en effet à illustrer cette tension entre différentes attaches culturelles possibles à travers un jeu sur les entrelacements et les croisements qui complexifie grandement le rapport à l’identité et à l’altérité : la famille de Doïna se compose à la fois de vampires, d’une métisse et d’un humain; tandis que les questionnements biogénétiques, le caractère hybride de Doïna, le personnage de la mère qui rejette sa communauté d’origine, les phénomènes de repli communautaire et de stigmatisation multiplient les perspectives sur la thématique de l’identité, en en montrant les tensions internes et les contradictions.
Cette problématisation et complexification des enjeux se retrouvent aussi au niveau de la caractérisation des personnages, qui a le mérite de brouiller quelque peu les repères moraux traditionnels. En effet, à l’analyse, tous les personnages sont bien plus ambivalents qu’ils n’en ont l’air, et ont l’occasion d’accomplir des gestes ou de tenir des paroles qui offrent aux spectateurs une certaine latitude morale pour les juger. Par exemple, Juliette et Rad, les frères de Doïna, ont des raisons valables, ou du moins compréhensibles, de souhaiter un retour au sein de leur communauté d'appartenance. L’avenir ne leur offre aucune perspective. La précarité, la misère affective et l’ennui les guettent. Ils ne peuvent s’empêcher de vivre comme une trahison le choix de leur mère de les éloigner de leur "race". Ces reproches invitent en retour à reconsidérer les choix éthiques de la mère, ou du moins à les questionner, alors même que le récit s’échine à la montrer sous son meilleur jour. Vaillante, protectrice et forte : elle est une figure respectable, dévouée à ses enfants. Toutefois, le doute plane : et si la communauté des vampires n’était pas si malfaisante ? Et si Martha ne se trompait pas en accusant Csilla Nemeth d’avoir tué son mari ? Au fond, Scilla n’a t-elle pas raison de vouloir former Doïna, dont l’incapacité à contrôler ses nouvelles pulsions menace effectivement l’ensemble des vampires ?
Ces réévaluations constantes des motivations des personnages relancent l’intérêt du récit et complexifient la lecture morale que l’on pourrait en faire. Tous les personnages ont leur zone d’ombre, à l’exception notable d’Andrea. Ainsi, Rad est à la fois violent, agressif, inquiétant et, parfois, rassurant et protecteur, notamment lorsqu’il recourt à la violence pour intimider les ennemis de sa famille. De la même façon, les réalisateurs essaient de construire le personnage de Ladislas Nemeth comme une figure duplice, aussi repoussante que séduisante, du moins aux yeux de Doïna.
Cette caractérisation assez habile des personnages mine en partie le manichéisme initial et rend plus palpable le jeu de forces contraires attirance/répulsion du monde des vampires sur Doïna. Les vampires et les humains appartiennent en réalité à deux univers fantasmagoriques différents, qui ont chacun leur qualité et leur défaut. Le premier se caractérise par des espaces baroques baignant dans une lumière artificielle alternant le rouge sang du désir, le bleu et violet du mystère et le vert maladif d’un monde aussi cauchemardesque qu’attirant. Les fêtes nocturnes mettent en scène le luxe suranné d’une aristocratie branchée, étrangement riche (on aurait aimé davantage d’éclaircissement sur ce milieu, croulant sous la richesse et pourtant marginalisé…), sensuelle, dominée par des femmes. Ce monde offre le cadre protecteur du collectif à ses membres en échange de leur allégeance, ainsi que des pouvoirs surpuissants aussi utiles que contraignants.
Le deuxième s’enracine dans le Belleville populaire, métissé de Doïna. Le soleil définit l’horizon esthétique d’une humanité certes plus fragile (ce que représente Nasser dont s’éprend Doïna), mais qui n’a pas à se cacher ni mentir pour exister. Cependant, les contraintes administratives, la nécessaire régularisation en vue d’une intégration réussie dans cette société empêchent Doïna de se sentir pleinement membre d’un collectif la menaçant d’exclusion. Surtout, les rivalités, notamment amoureuses, la jalousie, fissurent l’harmonie entre les adolescents, alors que Doïna se sent de plus en plus incomprise à mesure que ses instincts de vampire prennent le dessus. Entre ces deux pôles identitaires plane la famille Radescu, curieux mélange entre humains et vampires. Cette famille à part, dont la cohésion vacille et menace à plusieurs reprises d’éclater, propose des configurations originales qui auraient mérité d’être davantage poussées.
Et c’est là un reproche que l’on peut adresser à toute la série, dont la trop courte durée empêche de prolonger intelligemment les promesses thématiques entraperçues. La faute à une narration bien trop avide de péripéties, ne laissant pas assez de respiration à ses personnages pour creuser leurs relations et approfondir leur psyché. L’idylle entre Doïna et Nasser est par exemple totalement bâclée, limitée à quelques scènes qui rendent totalement invraisemblable la révélation finale de la nature véritable de la lycéenne à un garçon qu’elle ne connaît finalement pas si bien. Et cette invraisemblance parcourt malheureusement tout le récit dont les trop nombreux trous scénaristiques empêchent de raccorder de manière satisfaisante les différentes trames narratives.
En effet, une certaine confusion, à la fois spatiale et temporelle, décrédibilise, ou du moins rend bien souvent incompréhensibles, certaines actions et réactions des personnages. Ces derniers peuvent se balader à droite et à gauche sans susciter d’inquiétudes particulières chez la mère, alors même que le danger les guette. Par ailleurs, les revirements des personnages, certains de leur choix, semblent manquer de cohérence, ou n’obéir à aucune forme de logique si ce n’est celle, au combien artificielle, de la nécessaire progression narrative. Andrea n’a par exemple aucun mal à partir alors que sa sœur est mourante, en l’abandonnant à Ladislas. Pire, certains évènements pourtant fâcheux semblent par la suite occultés, comme si cela ne prêtait pas tellement à conséquence. Ainsi, que Ladislas ait envoyé le frère de Doïna à la mort, qu’il soit lui-même un assassin n’hésitant pas à tuer des humains, n’affaiblit en rien son pouvoir d’attraction sur Doïna. Or, peut-on réellement croire à cette attirance en oubliant volontairement ce dont le personnage s’est rendu coupable ? Peut-on penser que Doïna ne remettrait pas cela sur la table à un moment du récit, et serait capable de pardonner aussi rapidement à celui qui a volontairement envoyé son frère se faire dévorer ?
Dans le même ordre d’idées, Nasser, pourtant témoin de l’attirance possible de Doïna pour ce mystérieux vampire, fait totalement abstraction de cela lorsqu’il se retrouve en tête à tête avec sa dulcinée. Là encore, est-il crédible d’imaginer un personnage si peu curieux qu’il n’en vient pas même à demander d’informations à ce sujet ? Cette impression de voir des personnages amnésiques, incapables de tirer les bonnes conséquences des évènements auxquels ils ont assisté ou dont ils ont été victimes, nous sort malheureusement à plusieurs reprises du récit. Surtout, cela semble davantage relever d’un problème d’écriture, d’oublis scénaristiques, que de la volonté de construire des personnages miséricordieux, capables de pardonner dans des proportions pour le coup surnaturelles. Il en résulte que l'histoire perd en humanité à force d’ « oublier » tout ce qui devrait légitimement relever de la sphère intime (les questionnements, les doutes) au profit d'un récit qui glisse davantage sur sa surface narrative qu'il ne cherche à l'approfondir. Or, peut-on sacrifier la cohérence psychologique sur l’autel de l’avancée dramatique ? Le spectateur est-il à ce point « entrainé » dans un flux d’actions ininterrompues que son regard ne serait pas capable de buter sur des scènes qui semblent n’avoir conservé qu’une mémoire partielle des épisodes précédents ?
Malgré ces défauts d’écriture, reconnaissons à la série d’avoir réussi à moderniser la figure du vampire en l’inscrivant pleinement dans les problématiques identitaire et communautaire de notre siècle. Espérons une deuxième saison plus rigoureuse d’un point de vue scénaristique, moins clichée dans ses dialogues, et davantage centrée sur l’exploration de l’intériorité du personnage de Doïna.