Veronica Mars est réminiscente des trois premières saisons de Buffy, c'est la première chose qui m'a frappé (outre le fait que Joss Whedon, Alyson Hannigan et Charisma Carpenter y fassent tous des apparitions, pour mon plus grand plaisir) : elle atteint (presque) les mêmes sommets dans sa représentation douce-amère du monde de l'adolescence et se fraie un passage mérité aux côtés des meilleurs teen-dramas qu'ait pu offrir la télévision.
It actually does sit on a Hellmouth, dira Piz dans le film qui suivra (par ailleurs j'admire l'ardeur des fans de l'époque qui se sont donnés corps et âmes pour la série) : dans un lycée américain lambda, les riches et populaires fils de côtoient des élèves de la low middle class californienne. Parmi eux, Veronica, détective privée à ses heures perdues, résout les mystères de sa communauté en échange de quelques dollars, la plupart du temps en solo, avec l'aide occasionnelle de sa copine nerdy génie de l'informatique et de son meilleur ami un brin drolatique, sous les conseils de son père, jonglant sentimentalement entre l'(apparent) gentil garçon mystérieux et le badboy décomplexé... Si, si, Buffy je vous dis.
Plus sérieusement, Veronica Mars ne se réduit pas à une simple redite de la tueuse de vampires, elle en réutilise simplement les aspects les plus puissants dans sa manière d'établir le récit de formation tragique d'une adolescente de dix-sept ans en pleine quête de vérité, confrontée sans cesse à l'indifférente cruauté du monde adulte. Là où Buffy employait l'allégorie pour illustrer la difficulté de cette transition, Veronica Mars se sert des enquêtes comme prétexte à l'exploration des dessous de l'âme humaine, qui plongent peu à peu son héroïne dans une désillusion macabre.
Même si la série n'évite pas quelques lieux communs, notamment dans sa description à la limite du manichéisme de la hiérarchie sociale du microcosme lycéen, avec son élite sans pitié et ses souffres-douleurs frustrés, elle n'hésite jamais à s'aventurer sur les terrains les plus obscurs de cette réalité : d'une grande maturité, Veronica Mars lève les tabous sur des sujets fâcheux et délicats, s'appuyant sur une trame relativement balisée pour mieux la défricher ensuite, en révéler l'horreur sous-jacente. Comme pour son apparence pop acidulé, il suffit de gratter la couche de vernis a priori aguicheuse pour découvrir les travers du rêve américain : ce à quoi s'évertue Veronica du début à la fin, exposant la vérité aux ignorants, déstabilisant ceux qui voulaient l'enterrer, tentant, souvent avec difficulté, de rétablir l'équilibre entre la classe dominante huppée (09niners) et la classe populaire, injustement châtiée et souvent accusée à tord des pires méfaits.
Et bien qu'on puisse contester l'hyperbolisation de certaines situations (notamment avec la légère redondance des incessantes théories conspirationnistes), les événements auxquels sont confrontés les personnages sont violents, éprouvants, voire d'une grande tristesse : meurtres, viol, suicide, harcèlement, slut-shaming, parents absents, pédophilie... C'est comme si la série se déroulait dans un versant tragiquement absurde du genre auquel elle appartient : à noter que Veronica enquête sur le véritable coupable du meurtre de sa meilleure amie, Lily – sorte de Laura Palmer 2.0 aux secrets eux aussi douteux – pendant toute la durée de la première saison ; c'est terriblement glauque, mais l'effet de comique n'est jamais loin non-plus.
Mais son point fort, c'est son héroïne. Si elle aussi rappelle une certaine Buffy Summers (l'inspiration est évidente) en son temps, Veronica se démarque immédiatement par son immense intelligence. Elle ne se réalise par dans l'acceptation d'une responsabilité qui la dépasse, mais s'invente ses propres règles dès le début : elle est brillante, vive, têtue, clairvoyante, indépendante, débrouillarde (ses talents d'actrice ne sont plus à remettre en cause, et ceux de Kristen Bell non-plus d'ailleurs !), et emploie ses qualités dans une visée altruiste, solidaire, toujours prête à aider ceux qui l'appellent au secours, quand bien même ces-derniers puissent avoir été ses pires ennemis, ou à filer des coups de taser à ceux qui voudraient l'intimider.
C'est une héroïne juste, exemplaire, parfaite à travers ses imperfections : elle ne fait pas toujours les bons choix, mais les assument jusqu'au bout, perpétuellement confrontée aux questionnements éthiques que lui inspirent son job. C'est une adulte dans la peau d'une adolescente humiliée par ses camarades, cible systématique de l'incompétent shérif Lamb, éternelle solitaire dont le cynisme des mots (au culte immédiat) cache une complexité émotionnelle dévorante... She's a marshmallow.