Pour qui a déjà fait le premier voyage proposé par Tavernier, et qui prenait la forme d’un long métrage de 3h15, cette extension en format série sur 8 épisodes d’une heure a tout des réjouissantes retrouvailles.
Tavernier est le cinéphile absolu, ayant dévoué sa vie au septième art bien avant de passer derrière la caméra, notamment en tant qu’attaché de presse, mais aussi par sa propre expérience de spectateur, qui jalonne souvent le début de ses épisodes, pour expliquer le choc de certaines découvertes. Tavernier est une voix : souvent présente en off dans quelques épilogues de ses films, à la radio, sur les bonus des DVD, et ici, bien entendu : une voix bienfaisante, celle de l’érudit qui n’est pas professeur, et dont l’unique objectif est le partage.
A partir du moment où l’on a compris les termes de l’échange, à savoir que la sélection est subjective, et que l’euphorie ne sera forcément pas au diapason sur tous les titres proposés, l’enthousiasme l’emporte et ne nous quittera plus. Enthousiasme de voir un passionné travailler avec acharnement à débusquer les références, sélectionner ses extraits, les agrémenter d’anecdotes cocasses (Balkany en figurant chez Tati, bien vu) ou corriger certaines contre-vérités.
Après les très grands (Gremillon, Guitry, Pagnol, Ophüls), Tavernier ouvre les horizons sur un continent généralement réservé à quelques happy few, et le moins qu’on puisse dire est qu’il attise le désir de découvertes, traitant autant des cinéastes que des scénaristes, et faisant la part belle aux compositeurs. On apprendra surtout grâce à lui l’étonnante modernité de tout ce catalogue qu’on croirait confit dans la naphtaline, qu’il s’agisse du jeu extraordinairement naturel de certains acteurs, des techniques annonçant le néo-réalisme italien chez Pagnol, du courage avec lequel Autant-Lara a abordé la question de l’avortement dans les années 60, des innovations folles en ce qui concerne la couleur, les mouvements d’appareil ou du son du cinéma français, et des bienfaits des vagues migratoires venues depuis l’Allemagne nazie pour revivifier nos pratiques nationales.
Au-delà de la formidable filmographie qui s’en dégage, ce parcours personnel illustre surtout ce qu’affirme Tavernier dans son introduction (40 minutes au fil desquelles on sent qu’il est prêt, en impro, à ajouter huit nouveaux épisodes…) : « Les grands films ne sont pas des objets de musée. Ce ne sont pas même des objets culturels ; ce sont des films qui nous parlent ». C’est ce parti-pris qui explique le désir de transmission chez le cinéaste, et qui insiste à plusieurs reprises sur un élément essentiel de la cinéphilie : le temps. Lui-même produit d’une époque en termes de mode et de tendance critique, il reconnaît des erreurs et des aveuglements, des regrets quant à certains auteurs qu’il n’a pas pu rencontrer, et des repentirs sur des cinéastes qu’il était de bon ton de sacrifier sur l’autel de la modernité. Le droit de revoir, l’autorisation de réévaluer constitue sans doute le témoignage le plus précieux dans ce flot intarissable de culture.
Alors que nous devons nous faire à l’inconsolable idée que nous n’entendrons plus la vive voix de Tavernier, cette invitation à revisiter, sans cesse, notre propre passé de cinéphile, accompagnés par son enthousiasme, peut apporter une forme de réconfort.
Filmographie complète des références proposées.