J’ai passé une bonne partie de ma quatorzième année à allumer des feux. Rassurez-vous, c’était des feux sans gravité : pas de destructions de propriété ou d’incendies de forêt, juste des tas de bois en train de se consumer dans des endroits plus ou moins incongrus. J’aimerais vous dire qu’il y avait une motivation profonde, spirituelle, métaphysique derrière ces actes et à l’époque, dans mon cerveau adolescent, j’avais bien dû en dénicher une. Aujourd’hui, alors que la vieillesse me guette, je me rappelle juste avoir trouvé ça cool.
On est jamais plus sérieux que quand on a 14 ans et qu’on croit détenir tous les secrets de l’univers, et We Are Who We Are est une des rares œuvres de fiction à le montrer. Si les personnages adultes de la série ont aussi droit à leurs pistes narratives (pas toujours très convaincantes par ailleurs) ce sont bien les (pré)ados qui sont le cœur battant de l’œuvre de Guadagnino, et notamment Fraser et Caitelin, les deux héros unis par une amitié fusionnelle. L’alchimie entre Jack Dylan Grazer, le gamin nerveux de It, et Jordan Kristine Seamon, inconnue au bataillon mais sans doute plus pour longtemps, est impeccable.
Le pitch de départ diffère peu de ceux de la majorité des séries qui peuplent les chaînes américaines et les plateformes de streaming : un élément perturbateur (Fraser et ses deux mamans) arrive dans une communauté soudée, provoquant divers bouleversements. Ici, la communauté soudée n’est pas (juste) un lycée ou une banlieue pavillonnaire tranquille, mais une base militaire américaine nichée dans le nord de l’Italie, dont une des mères de Fraser vient de recevoir le commandement. Il ne s’agit pas là d'un simple argument scénaristique : visuellement, cela permet un contraste très intéressant entre la base, petit bout d'Amérique ou tout est neuf, symétrique, réglé avec une précision militaire, et l’extérieur qui oscille entre nature sauvage et villes marquées par l’histoire et des traditions millénaires.
Les images et la bande son (merci Dev Hynes de Blood Orange) sont impeccables, mais ne vous attendez pas à un scénario avec des rebondissements palpitants : cette série est une vibe comme diraient les jeunes, ce qui explique que généralement on adore ou on déteste. En faisant le choix de se consacrer à l’étude des tourments intérieurs de ses personnages, la série prend le risque de s’égarer dans des intrigues inégales (celles des adultes) mais s’accorde également des moments de grâce, notamment lorsqu’elle se concentre sur ses deux héros, Caitlin et Fraser, qui se coltinent à la difficile entrée dans l’adolescence.
Fraser pense savoir qui il est, ce qu’il exprime de façon ostentatoire, masquant des insécurités sous-jacentes. Son style vestimentaire et son goût pour la mode tranche avec les uniformes de rigueur sur la base, sa personnalité est construite autour d’œuvres d’art résolument queer (Blood Orange, Ocean Vuong, Klaus Nomi) ou connues pour leur aura sulfureuse (le dernier tango à Paris, les Bienveillantes), signe d’une certaine immaturité. Au contraire, Caitlin est en évolution permanente, cherchant et explorant diverses options et identité de genre ou romantique au cours de la série. A 14 ans, on a encore un pied dans l’enfance, dans l'irrationnel et le sensible, mais on a hâte de grandir quitte à singer des comportements “adultes” qui ne nous correspondent pas. Cette période de transition, cet entre deux avant les inhibitions, les complexes et les pressions sociales des années lycées où on est terrifié.e.s du regard des autres, c’est certainement la période de ma vie où je me suis sentie la plus libre mais aussi la plus misérable, comme si les possibilités infinies qui s’ouvraient à moi étaient trop immenses, trop lourdes à porter. Ça fait des années que je n’ai pas allumé de feu, mais We are Who We Are m’a rappelé quelque chose de la chaleur des flammes. Du coup j’ai surnoté. Dsl.