Malodorant
Comme à chaque Étrange Festival, je prends un pass avec une sélection de films aléatoire. Je choisis des courts-métrages, des films en compétition, des rétrospectives, des avant-premières. Je varie...
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le 15 sept. 2024
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Séance suivie d'un Q&A avec Fabrice du Welz et Anthony Bajon. Merci SC pour la projection !
[Insérez ici une citation de Lautréamont en guise d'accroche]. S'il est tentant de comparer Maldoror à d'autres films d’enquête poisseux du type Zodiac, Prisoners ou Memories of Murder, c'est sans doute passer à coté de l’intérêt du film que de le présenter uniquement sous cet angle, tant l'ambition de Du Welz est grande (sans doute trop, nous y reviendrons).
En s'inspirant de l'affaire Dutroux, qui a traumatisé la Belgique dans les années 1990, au point de modifier en profondeur son fonctionnement institutionnel, Du Welz voulait à la fois ausculter sa nation d'origine dans toutes ses contradictions, s'interroger sur la nature du mal, et réaliser l'étude d'un personnage fictif, Paul Chartier, et de ses ambiguïtés morales. Autant vous dire que ça fait beaucoup, et forcément tout n'est pas réussi.
Ce qui selon moi fait l’intérêt du film et le différencie d'autres films enquête du même type, c'est l'attention portée au cadre, notamment au contexte social particulier de la région de Charleroi, région minière en pleine désindustrialisation, région pauvre, région riche aussi des diverses origines des mineurs qui ont fait leur vie dans le coin. Cela donne de très belles scènes dans la belle-famille italienne de Paul, et des plans assez esthétiques (pour qui aime bien l’architecture industrielle) sur diverses usines et chevalets de mine dans un état plus ou moins avancé de déliquescence. Au delà du contexte local, le film retranscrit bien le climat général des années 1990, y compris ses spécificités belges, dont la "guerre des polices" qui empêchait les différents service de police de communiquer entre eux par méfiance réciproque et causa de nombreux contre-temps dans l’enquête.
Dans ce décor, nous suivons la quête acharnée de Paul Chartier, jeune gendarme au passé trouble, pour retrouver deux petites filles enlevées à Charleroi. Bientôt, les soupçons se portent sur Marcel Dedieu (alias Marc Dutroux, ils sont pas allé cherché loin le changement de patronyme), repris de justice au casier long comme le bras. Comme le film dure 2h30 vous vous doutez bien que ça se complique par la suite, même si les deux premiers actes du film sont assez fidèles au déroulement réel de l'affaire, avant de basculer de façon convaincante dans l'uchronie sur la dernière demi-heure.
Anthony Bajon est évidemment très très fort dans le rôle de Paul Chartier, comme d'habitude me direz-vous même si l'académie des César oublie chaque année de lui filer un trophée. Du Welz est sans doute lui aussi révolté de cette situation, puisqu'il lui a directement envoyé le scénario sans lui faire passer de casting ! Malgré mon amour inconditionnel pour Anthony, il faut cependant reconnaitre que dans le cadre du film, son aura éminemment sympathique pousse le spectateur à lui accorder trop longtemps le bénéfice du doute par rapport à ce que le scénario imposait, et qu'on perd sans doute un peu de l’ambiguïté morale nécessaire à rendre ce genre de film vraiment fascinant.
En fait c'est bien dans son auscultation de la nature du mal que le film pèche le plus. De Welz a affirmé vouloir questionner notre vision du mal, nous pousser à nous demander si le mal finalement se manifeste uniquement dans les crimes horribles de Dedieu/Dutroux, ou s'il est présent dans toute la société et notamment dans les institutions qui sont censées nous en prémunir. En cela, le film pèche par des moments de grand guignol un peu trop nombreux qui rendent les méchants très caricaturaux, et une structure somme toute très classique du loup solitaire qui sait tout avant tout le monde, opposé à une hiérarchie qui ne le croit pas. Si j'ai aimé le tournant complotiste du dernier acte, il faut cependant reconnaitre que tout cela manque de subtilité.
Dans le style "c'est inspiré d'une histoire vraie, glauque et ça se passe chez les Belges" la série Sambre est beaucoup plus intéressante dans son traitement de la banalité du mal et de la part que chacun (et chacune mais soyons honnête, surtout chacun) d'entre nous peut jouer dans le maintien d'un statut quo qui blesse systématiquement les personnes les plus vulnérables de la société.
Avec ses méchants marginaux horrifiants et son héro qui se dresse, sans torts et (presque) sans reproches face à l'infamie, le film se cantonne, malgré les intentions du réalisateur, à une vision manichéenne et sensationnaliste du mal, en phase sans doute avec les obsessions de notre époque ou chaque fait divers est ausculté à n'en plus finir, mais en décalage avec les mouvements profonds de la société et notamment du mouvement METOO, qui nous montre chaque jour hélas à quel point le mal peut être désespérément banal.
Créée
le 9 janv. 2025
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