Décidément...

Dans ma critique précédente j’abordais la perplexité dans laquelle nous laissent parfois certaines œuvres. C’est une nouvelle fois avec ce sentiment d’incertitude que je sors de Wonder Egg Priority (qu’on appellera WEP pour simplifier). Non pour une question de conflit moral cela dit mais à cause d’un problème de production. WEP est un anime avec un grand potentiel intellectuel, émotionnel et artistique mais qui pour une raison que j’ignore (si vous avez des infos ça m’intéresse de comprendre) s’est complètement planté dans son développement.

Wonder Egg Priority est un anime du talentueux studio CloverWorks connu pour ses adaptations d'Horimiya, Darling in the FranXX, Rascal Does Not Dream of Bunny Girl Senpai ou encore Promised Neverland (dont la saison 2 souffre d’ailleurs du même probleme de production précipitée et inachevée). C’est une histoire original, c'est-à-dire que contrairement aux autres animés précédemment cités (et que je vous recommande au passage) celui-ci n’est pas une adaptation d’un manga, Visual Novel ou Light Novel préexistant. Il nous raconte l’histoire de Ai Ohto, une jeune fille de 14 ans qui, suite au suicide de sa meilleure amie, passe ses journées enfermées dans sa chambre. Un Jour elle hérite d’un œuf censé réaliser les veut lorsqu’il est brisé. En s’exécutant la jeune fille se retrouve transportée dans un monde onirique et une autre jeune fille sort de l’œuf éclos. Cette dernière requiert immédiatement sa protection face à des monstres cherchant à la tuer. Une voix (celle qui lui a donné l’œuf) explique alors à Ai qu’elle pourra ressusciter son amie si elle parvient a protéger suffisamment d’œufs.

Ce scénario bien étrange de prime abord donnera l’opportunité d’aborder d’innombrables thématiques de société, causes de leurs traumatismes, tels que le harcèlement scolaire, le regret, la rédemption, le viol, la pression à la réussite, la célébrité et le milieu morbide des Idol, la famille, le genre, etc entre autres sujet qui arriveront plus tard telle que l’Intelligence Artificielle ou l’euthanasie. C’est là sa plus grande force car ces sujets sont tous traités avec justesse mais c’est également sa plus grande faiblesse tant ils ne sont que survolés. A trop s’éparpiller sur si peu d’épisodes l’anime ne parvient pas à exploiter son plein potentiel quelque soit le thème et on a le sentiment d’un produit rushé. Son propos principal reste cependant le suicide et ses conséquences sur les proches ainsi que la responsabilité des persécuteurs. Ce vide interrogatif laissé aux vivants, Puis-je la comprendre ? Aurais-je pu la sauver ? Suis-je fautif ? Et plus largement « l’absence » puisque deux des héroïnes sont également en quête de leur père.

Si la première moitié plutôt orientée action semble à peu près structurée et cohérente avec un épisode par œuf/problématique dont le concept n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de l’excellent jeu Persona 5 que le studio s’est également occupé d’adapter en animé (une bande de jeunes qui part dans un monde alternatif pour combattre une personne dont les vices s’expriment par une transformation monstrueuse). La seconde moitié semble s’écarter de son concept initial avec un style Slice of Life pour se concentrer sur le groupe d’héroïnes aux personnalités fortement hétéroclites et tenter de justifier son univers afin de clôturer rapidement l’œuvre. Jusqu’alors on restait sur une interprétation plutôt allégorique, une fille enfermée dans sa chambre après un traumatisme et qui tente de racheter sa culpabilité dans ses rêves en se faisant héroïne défenseuses des opprimés, un concept simple qui se passait de justifications à mon sens. Or, si tout n’est pas dénué d’intérêt et continue d’aborder des sujets intéressants (mais toujours incomplets), cette continuité pose de sérieux problèmes de cohérence et de nombreuses questions qui resteront sans réponses car l’anime n’a même pas de conclusion. Il y a pourtant eu un OAV pour apporter quelques éclaircissements mais c’est malheureusement loin d’être suffisant.

Et c’est là qu’on constate avec amertume les déboires d’un développement chaotique. L’anime ne fait que 12 épisodes pour des raisons purement économiques à mon avis, je pense que le scénario n’a pas seulement perdu sa fin mais a été raccourci sur tout son contenu pour rentrer dans le budget. Malgré ça les difficultés ont continué car l’épisode 8 est un résumé des 7 précédents et l’OAV final censé combler les trous fait lui aussi un résumé des épisodes 9 à 12 dans sa première partie… Des choix discutables tant la démarche est inutile si ce n’est accorder un délai pour retravailler le scénario en cours de prod (et le résumé de l’OAV sert juste à donner un sens au premier j’imagine)…

Pour résumer, WEP est un anime trop ambitieux qui se prend les pieds dans le tapis, très brouillon dans sa construction narrative et surtout incomplet, visiblement à cause de problèmes de production mais pas seulement au vu du départ déjà trop superficiel. Malgré tout il a une identité marquée et des thématique puissantes, un univers coloré (j’aime beaucoup le chara design de l’héroïne aussi) et une animation de qualité (bien qu’inégale), surtout l’opening dont le photoréalisme est digne des meilleures séquences de Makoto Shinkai. La première moitié est plutôt dynamique mais la seconde moitié perd totalement le contrôle de son récit et s'oriente davantage sur du slice of life, ce qui n’est pas un défaut en soi mais crée des tergiversations dans la narration. Alors qu'on attendait un peu plus de développement et des réponses pour dissiper le mystère, celui ci s'épaissit au contraire davantage et reste sans conclusion. WEP est donc une œuvre pleine de bonnes intentions et d’idées intéressantes mais dont la conception, sans être désastreuse, ne fait pas honneur à ses ambitions narratives. Espérons qu’un jour un reboot du projet voie le jour, en 25 épisodes minimum cette fois-ci, afin d’en exploiter le plein potentiel et en faire le chef d’œuvre qu’il méritait d’être.