Years and Waste
Ça commençait pourtant bien. Le premier épisode était sacrément bon : on découvre la famille Lyons, qui semble absolument inclusive : on a des blancs, des noirs, des hétéros, des gays, des...
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le 23 juin 2019
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It's the end of the world as we know it (and I feel fine)
Les spoilers seront présents.
Regarder cette série pendant la canicule a probablement été une excellente idée, tant le cumul des deux a vraiment amplifié le sentiment, qui préexistait depuis un moment chez moi, que le monde est en train de courir à sa perte. A une heure où l’activiste Greta Thunberg est moquée sur les réseaux sociaux et par les politiciens, à la fois pour son physique (le soi-disant philosophe Michel Onfray l’a qualifiée de cyborg du troisième millénaire) et son âge, alors qu’elle ne fait rien de mal et cherche juste à alerter le monde sur l’état d’urgence climatique absolue dans lequel nous nous trouvons, j’ai vraiment la sensation que l’humanité n’en a plus pour très longtemps et que tant que nous élirons toujours les mêmes personnes pour contrer la montée des extrêmes, rien ne changera et la situation ne pourra que s’amplifier.
Dans son essai intitulé Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, le géographe et historien Jared Diamond démontrait qu'une des causes de la disparition de certaines sociétés telles que celles des Mayas ou des Vikings était leur impact sur l'environnement. Mais il insistait aussi sur le fait que cette raison était nécessaire mais pas suffisante à expliquer ces effondrements, d'autant que certaines sociétés avec des handicaps environnementaux sont parvenues à survivre. Difficile de ne pas en tirer des leçons pour la société occidentale actuelle, qui possède une empreinte écologique énorme, mais qui pourrait disparaître pour plein d'autres raisons, et notamment celle d'une guerre nucléaire.
Years and Years est ce genre de séries qui, si elle avait été diffusée à plus grande échelle et eu plus de succès, malheureusement éclipsée par une autre excellente série (Chernobyl) au moment de sa diffusion, aurait pu avoir un impact important sur la conscience collective. Car c’est une chose de blâmer les dirigeants, mais comme le dit la grand-mère Deacon dans le dernier épisode, nous sommes tous responsables de notre situation. Car chaque petite action compte. Lorsque nous achetons un T-shirt à 1 euro, nous sommes responsables. Lorsque nous utilisons une caisse en libre-service, nous sommes responsables. Lorsque nous prenons notre voiture pour un trajet de 500 mètres, nous sommes responsables. Lorsque nous refusons d’accueillir des migrants sur notre territoire, nous sommes responsables. Lorsque nous ne faisons rien, nous sommes responsables.
La série nous propulse dans un futur très proche et ultra-plausible, au sein d’une famille de Manchester très soudée, les Lyons, dans un Royaume-Uni post-Brexit en pleine déliquescence. A travers leurs tracas quotidiens, leurs histoires personnelles, ils seront les témoins, ou plutôt les acteurs, voire les victimes, des changements socio-économico-climato-politiques de leur temps (qui sera le nôtre demain). Years and Years est composée de six épisodes, qui se déroulent sur une quinzaine d’années, ce mode accéléré permettant de dresser un panorama complet de ce que pourrait devenir le monde d’ici là si nous continuons à agir de la sorte. Aucun sujet d’inquiétude actuelle n’est oublié, au travers de l’histoire des différents personnages.
L’uberisation de la société et la multiplication des crises financières, qui poussent certains pères de famille à cumuler plusieurs jobs à la fois pour nourrir leur famille, malgré leur haut niveau de diplôme et d’études est l'un des sujets de la série. Les banques qui s’effondrent et font perdre un million de livres à Stephen vont en effet l’obliger à devenir coursier à vélo, entre autres, et dire oui à tout pour un salaire de misère. Cela le pousse à commettre des fautes et à ne plus être la personne qu'il était au début, mais l'empathie pour lui reste présente grâce à la qualité d'écriture du personnage.
Cet effondrement correspond à la montée des extrêmes et du populisme dans la plupart des pays du monde, y compris dans les démocraties les plus solides.
S’il est tentant de se laisser séduire par certains discours agréables à entendre malgré le manque de connaissances certaines par celui ou celle qui les prononce (même l'activiste alter-mondialiste Edith y succombe, tout comme sa soeur Rosie), les conséquences pourraient s’avérer dramatiques lorsque ceux-ci accèdent au pouvoir. En cela, le discours de la Première Ministre Vivienne Rook dans le cinquième épisode est particulièrement saisissant et inquiétant : minimisant le terme de « camp de concentration » en comparant une concentration d’humains à une concentration d’oranges, jouant sur le double-sens du mot, alors qu’elle-même a recréé ces camps pour y stocker les migrants, elle rappelle à ses employés l’invention des camps de concentration par les Anglais au moment de la guerre des Boers en Afrique du Sud. En avons-nous entendu parler ? Non, « nous avons oublié, parce que cela a marché », dit-elle. Cela démontre parfaitement la nécessité du devoir de mémoire, sans quoi l’histoire serait amenée à se répéter. Comment ne pas penser alors aux propos de Jean-Marie Le Pen, qui avait affirmé que les camps de concentration n’étaient qu’un détail de l’histoire ?
Ces migrants, s’ils sont principalement Africains à l’heure où j’écris ces lignes, demain (= dans la série), ils seront chassés de certains pays européens à cause de leur orientation sexuelle, comme le personnage de Viktor, qui va se trouver responsable malgré lui de la mort de son compagnon quand tous les deux tenteront de regagner dans un bateau de fortune surchargé la Grande-Bretagne. Ce choix scénaristique est à la fois osé et très pertinent, puisqu’en faisant mourir un personnage anglais et non issu d’un pays lointain, on montre bien que bientôt ça n’arrivera pas qu’aux autres et que nous sommes tous susceptibles de devenir migrants et nous noyer dans la Manche.
La série est un peu moins bavarde à ce sujet mais nous montre quand même bien les conséquences, encore une fois migratoires, que peut avoir le dérèglement climatique. Le pôle Nord n’est plus qu’évoqué au passé dans la série, et surtout la multiplication des pluies torrentielles génère des vagues de migrants bien plus importantes que celles qui résultent d’une politique extrémiste.
Enfin, le transhumanisme est également de la partie : s’il prend une forme assez proche de ce qu’on peut retrouver dans certains épisodes de Black Mirror, avec la transformation progressive des humains en cyborgs, voire en données informatiques (c’est le souhait le plus cher de l’adolescente Bethany dans l’épisode 1, qui donne lieu à l’une des scènes les plus drôles de la série avec ce quiproquo sur l’abréviation trans-) et semble donc éloigné de la réalité au départ, très vite les aspects de la recherche actuelle, comme celui de redonner la vue grâce à la science ou l’éradication de certaines maladies, seront de la partie et conféreront à cet arc scénaristique une vraie consistance, au point de venir conclure la série de manière magistrale. Peut-être que le monde va disparaître, mais les données elles, le peuvent-elles ? La vie éternelle pourrait être accessible mais pas sous la forme à laquelle on penserait au premier abord. Mais n’est-ce pas un message hyper-pessimiste ? Si nous ne nous bougeons pas, nous serons condamnés à transférer notre conscience dans des molécules d’eau. Alors le monde vaut peut-être le coup d’être sauvé.
Le scénario de la série est mené d’une main de maître par Russell T. Davies, qui rend le futur extrêmement plausible, en n’omettant aucun détail, mais son plus grand tour de force est sans doute sa capacité à nous attacher à la famille Lyons en seulement six épisodes, et de ne jamais oublier la petite histoire au sein de la grande histoire, avec une imbrication entre les deux de plus en plus présente au fur et à mesure que le récit avance. Les joies et les peines de cette famille sont retranscrites avec brio, et la série arrive à nous faire passer du rire aux larmes en très peu de temps, en plus d'être une ode à la tolérance.
La série est peut-être un peu trop alarmiste ou court-termiste dans le sens où il est peu probable que tous ces événements surviennent en l’espace de quinze ans, et c’est cette recherche de sensationnalisme qui semble lui être reprochée. Personnellement, je pense qu’une série moins pessimiste aurait eu beaucoup moins d’impact, et qu’il vaut mieux s’attendre au pire scénario possible pour avoir une chance de le contrecarrer.
La réponse finale de la série tient en un mot : l’Amour. Or, s’il y a bien une chose qui unit les Lyons, c’est celle-ci : malgré les coups durs, les trahisons et les échecs, le dernier plan nous montre une famille certes diminuée, mais toujours unie et rassemblée comme au premier jour.
Une fin peut-être optimiste (d’autant que Vivienne Rook a été destituée et que l’expérience sur Edith semble avoir fonctionné) mais qui n’oublie pas de nous alerter sur la suite : Edith souhaite assister à ce qui se passe sur Terre pour des centaines voire des milliers d'années mais on lui dit qu'il faut d'abord qu'on règle le problème du climat et surtout, ce n'est pas parce que Vivienne Rook a été destituée qu'elle ne peut pas revenir (puisque visiblement elle échappe à la prison) ou être remplacée par un autre tyran.
Si l’Amour peut sauver une famille, peut-il sauver le monde ? Vous avez quatre heures.
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le 26 juil. 2019
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