Yellowstone par Christine Deschamps

La scène d'ouverture donne le ton : un accident de la route oblige un cowboy à abattre son cheval blessé. Tout y est déjà, du choc des époques à celui des mœurs. Et on sait que cette bataille perdue d'avance va avoir lieu sous le chapeau de notre incarnation moderne préférée de ces héros de l'Ouest sans âge, l'impeccable Kevin Costner. On est entre de bonnes mains, on le sent tout de suite. Après, c'est Dallas, Wind River et Far and Away tout à la fois, un vrai festival. Le scénario s'empare goulument des thèmes les plus porteurs : relégation des Amérindiens, délinquance endémique dans les réserves, culpabilité blanche mal gérée, violence héréditaire, cupidité capitaliste, familles toxiques, conflit des générations, corruption, tradition, et j'en passe. De quoi bien occuper les neurones tandis que se nouent à l'écran des tragédies successives dont une seule suffirait à rendre dingue n'importe qui sur le Vieux Continent. Et au milieu de tout ce chaos, le pater familias, impérial, à la fois admirable et redoutable, qui fait autant de bien qu'il provoque de catastrophes. Parce que le monde qu'il représente a été construit sur des valeurs rances qui continuent à avoir cours mais dont on sent bien qu'elles représentent plus un empêchement qu'un socle fiable. La deuxième génération se noie dans la panade provoquée par le modèle impossible de ce père inégalable : l'un épouse la cause indienne, l'autre trempe dans des affaires un peu louches et la troisième essaie de racheter un péché fondateur en semant la destruction sur son chemin. Dès le premier épisode, j'étais sur des charbons ardents, parce qu'on les comprend tous et qu'on voit donc pourquoi ils se sentent indispensables, mais aussi qu'on pressent à la première seconde qu'ils sont condamnés. Une vraie belle tragédie grecque à la sauce barbecue du Montana. Ce qui fascine et révolte à la fois, c'est l'omniprésence des rapports de force. On sait que les États-Unis se sont construits sur le modèle de la conquête de territoires déjà occupés, et donc sur la spoliation, à coups de colts et de Winchester. Puis qu'ils ont prospéré grâce au modèle capitaliste sauvage, qui n'a rien de tendre. Mais on ne considère pas suffisamment souvent la pourriture que cette violence même symbolique a instillé dans le cœur des hommes, et donc de leurs familles. La loi du plus fort, en affaires, c'est déjà dommageable au plus grand nombre, mais dans le secret des chaumières, ça fait des ravages autrement plus graves, et c'est toute la grandeur de ce récit à la fois épique et intime que de rentrer dans les salons, qui ont remplacé les saloons, et de montrer la dévastation que cause à l'âme humaine la loi de la prédation.