Le syndrome du Saucegod, c'est ce phénomène qui touche la fanbase d'Hamza et sur lequel je suis enfin parvenu à mettre le doigt lors de son premier passage à Marseille, le 20 mars dernier. Concert repoussé de sa tournée 1994, qui s'est donc transformé en date du Paradise Tour, les mille personnes présentes ont été à la hauteur de l'événement, mouillant fièrement le maillot du début à la fin. Mais ce n'est pas tant la performance qui est à signaler, que cette communion incroyable entre un artiste et son public.
Pour comprendre ça, il faut se souvenir de qui est Hamza. Un mec dont le physique à mi-chemin entre Mathieu Valbuena et Faudel ne l'a pas empêché de clamer dès son arrivée dans le game qu'il était un sex-symbol... et ne l'a pas empêché non plus de le devenir, en tout cas aux yeux de ses fans présents ce soir là : et vas-y que ça tient la main d'une zouz au premier rang pour danser pendant 30 secondes avec elle sur Vibes, et vas-y que tout le monde hurle au moindre de ses pas un poil chaloupé, et vas-y que ça balance des soutifs sur la scène (l'histoire ne dit pas si c'est des gars qui les ont arraché pour les donner en offrande au Saucegod, mais elle n'en serait pas moins belle).
Pourtant, le voir en concert, c'est d'abord se confronter à la réalité : oui, Hamza est un être esthétiquement pas ouf. Et pour ne rien gâcher, les interludes ne laissent pas deviner non plus un charisme plus grand, car à part quelques « Et mercé la zone » et moult « Saucegoooood », rien à signaler de ce côté là. Mais les faits parlent d'eux-mêmes : Hamza chante pendant 1h30 qu'il soulève toutes les meufs qu'il veut, et dans l'atmosphère qui se dégage du concert, quelque chose nous dit que c'est la vérité. Une go fait un malaise pendant Mi Gyal. Les premiers rangs se prosternent à la fin de Mucho Love. C'est comme si le temps d'une soirée, aucun doute n'était permis sur le fait qu'il est le new Michael Jackson.
Dans ces conditions, tout devient plus clair. Le syndrome du Saucegod, ça consiste à se dire de manière consciente ou non : « si Hamza se le permet, pourquoi pas moi ? ». Et le terme de "syndrome" n'est pas galvaudé tant son public semble matrixé à un point quasi-clinique. C'est simple, tout le monde se lâche complètement. Normal : sur scène se trouve la preuve vivante qu'en croyant assez fort qu'on a du style, on finit par en avoir. L'instru de 1994 retentit et la salle entière se déhanche en mettant ses mains sur son casque audio imaginaire. Un cercle énorme s'ouvre dans la fosse quand démarre 50x, avant de se refermer sur un bruit de tonnerre. Un gars au visage tatoué récite les couplets d'Aya Nakamura par cœur.
Mais évidemment, tout le monde dans l'assemblée sait comment il est passé du statut de semi-weirdo relativement confidentiel à celui de jeune légende : sa musique a parlé pour lui. Et à ce titre, 1994 en restera le tournant. Sur cette mixtape, il garde à la fois cette volonté d'aligner les hits qui était la sienne depuis H-24, tout en ne cédant plus à la facilité des gros drops bien bourrins. Au contraire, Ponko aligne les bijoux instrumentaux sur lesquels le H n'a plus qu'à laisser glisser son flow piste après piste, sans forcer. Le groove était imparable, et les tubes trop nombreux pour que le destin ne finisse pas par plier.
Donc Life, évidemment. A ce moment là, on sait que la fin du concert approche, mais ça n'empêche pas le temps de se suspendre : frisson général. Puis Jodeci Mob, incroyable bordel, plus personne ne touche le sol sur le dernier refrain. Enfin Minuit 13, ultimes complaintes autotunées, on comprend toujours pas ce que raconte Oxmo mais c'est pas grave, on a conscience d'avoir assisté à quelque chose d'unique.
Ce soir là, j'ai réussi à mieux comprendre ce qui sépare le moment où tu fronces les sourcils la première fois que tu tombes sur le clip de La Sauce de celui, quelques années plus tard, où tu te retrouves avec 1000 autres personnes en train de mélanger une sauce imaginaire et de crier que t'es autant illuminati qu'un nacho. On sort de la salle, les symptômes s'effacent, tout revient à la normale... en attendant de relancer Godzilla une énième fois dans les écouteurs.
Merci Hamza, longue vie au Saucegod.