S’il y a bien quelque chose qu’on ne peut pas enlever à Justin Vernon, c’est son talent, voire même osons le dire, son génie. Avec Bon Iver, le gaillard barbu du Wisconsin a su explorer divers facettes de sa personnalité avec des sonorités reflétant son état d’esprit et ses préoccupations de l’époque.
Il nous avait ainsi ensorcelé avec sa folk minimaliste (For Emma, Forever Ago), avant de sonder toujours plus les abîmes de la musique avec le brillant Bon Iver. Un chef d’œuvre de pureté et de symbiose auditive entre les voix et instruments, déjà avant-gardiste par bien des aspects. Une œuvre puissante, spirituelle et totalement habitée. Lui offrir un successeur digne de ce nom n’était pas une affaire aisée, et cinq longues années se sont écoulées avant cet énigmatique 22, a Million (si on omet les side-projects comme Volcano Choir).
Allons de but en blanc : beaucoup vont adhérer, d’autres vont détester. La prise de risques aura été maximale avec un album aux sonorités tellement expérimentales qu’on a du mal à prendre du recul pour le comparer avec les opus précédents. Certes, le style de Bon Iver irrigue toujours cet album. On peut par exemple retrouver une chanson aux sonorités eighties que Justin semble affectionner particulièrement : 8 (circle) pourrait être une chanson du regretté Prince, comme Beth/Rest faisait penser à une composition de Phil Collins et consorts.
Egalement, 22 (OVER S∞∞N) reprend les boucles vocales qu’il avait déjà eu l’occasion d’exploiter dans la chanson Heavenly Father composée spécialement pour Wish I Was Here du bon vieux Zach Braff. On est donc relativement en terrain connu.
Mais l’album risque d’en perdre plus d’un. N’hésitant pas à pousser l’exploration musicale jusqu’à l’extrême avec une utilisation à outrance de vocoders, et creusant le sillon d’une folk empreinte d’électronique, on se retrouve parfois avec des chansons à la limite de l’audible. J’en veux pour exemple 10 d E A T h b R E a s T ⚄ ⚄ qui m’a complètement largué avec ses basses saturées. J’ai beau comprendre l’utilité artistique et le besoin de repousser les limites toujours plus loin, je pense que la musique doit rester ce qu’elle est avant tout, un instrument qui fait ressortir des émotions. J’avoue avoir été sacrément désarçonné, et on se retrouve face à des questions d’ordre philosophique : l’art est-il nécessairement beau parce qu’il est beau ? (Voilà, vous avez 3 heures).
Plus sérieusement, je n’ai pas adhéré de manière absolue à cet album même si je lui reconnais des qualités indéniables ainsi qu’une audace certaine. Sans tomber dans un succédané du précédent album, j’aurais préféré un album plus « conventionnel », du moins expérimental, et plus dans la lignée du dernier titre de ce nouvel album, 00000 Million. En aucun cas Bon Iver ne baisse dans mon estime puisqu’il reste un compositeur de génie (même s’il a osé faire un featuring avec l’ami Kanye West…).