A première vue, aucun rapport entre l'un des rappeurs les plus connus et respectés du hip-hop américain et un risible film d'horreur de 1991 appelé Nothing But Trouble. Pourtant c'est bien sur l'un des titres de la bande originale du long métrage de Dan Aykroyd que le jeune Tupac Shakur pose sa voix pour la première fois. Sur ''Same song'', le rookie interprète quelques rimes aux côtés des décalés Digital Underground et apparaît déjà sur un trône dans le clip, signe de la carrière qui l'attendait jusque sa mort brutale cinq ans plus tard.
La performance avec les rappeurs funkys et extravertis d'Oakland n'a pourtant rien d'anodin. C'est au sein de la formation constituée entre autre de Shock G que le natif d'Harlem fera ses armes. D'abord comme roadie, danseur puis comme backeur, avant de prendre son envol avec son premier album en 1991. Celui qui se fait désormais appeler 2Pac est encore présent sur l'EP This Is an E.P. Release ou le long format Sons of the P des Digital, sortis la même année.
En compagnie des trois camarades, dignes successeurs de Parliament ou de Funkadelic avec leurs looks improbables et leurs samples de funk dégoulinants, le jeune Pac ne suit pas la voie du hip-hop de ses mentors. Avec la majorité de sa famille, dont ses parents, membres des Black Panthers, il a grandit avec cette idée de l'engagement et de la radicalité pendant toute son enfance. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir des prédispositions pour l'art, notamment le théâtre et la poésie, et d'intégrer plusieurs écoles. A la fois confronté à la réalité du quotidien et à cet amour pour l'expression artistique, ces deux aspects l'accompagneront tout au long de sa carrière. Avec en plus de ses albums, des rôles au cinéma et l'écriture de recueil de poèmes.
Comparé aux critiques et retentissements que Shakur déclenche à la sortie de son disque le 12 novembre 1991, le titre 2Pacalypse Now n'est pas usurpé. Si N.W.A avait déjà fait fort avec une lettre du F.B.I, 2Pac aura droit à l'élocution personnelle du vice-président Dan Quayle -sous le mandat de Bush père – suite à une affaire judiciaire impliquant un jeune texan. Après avoir tiré sur un membre des forces de l'ordre, il aurait accusé l'opus du californien et sa virulence envers la police pour expliquer son crime. Quayle interviendra en direct à la télévision pour condamner le travail de l'artiste et le fait que de telles œuvres ne devraient jamais voir le jour. Calomnies et ironie venant de l'album le plus social et moins virulent de la discographie de son auteur, avec Me Against the World en 1995. En effet, 2Pacalypse Now voit le MC composer des morceaux réalistes, conscients et politiques, inspirés de son quotidien et de sa vision des choses. Un engagement qu'il gardera jusqu'à son basculement plus thug qu'unificateur.
Ce n'est pas pour rien que ''Young black male'' ouvre le bal. L'artiste décrit les dangers d'une journée dans la peau d'un jeune noir dans les quartiers mal famés. Si l'histoire semble bien autobiographique, Pac prend soin de prendre du recul sur le récit, pour mieux trouver les causes de ses ennuis. Comparé à Me Against the World où il n'a jamais été aussi introspectif, 2Pacalypse Now le voit analyser les déboires du ghetto d'un point de vue extérieur. Preuve d'une maturité précoce et d'un propos intelligent malgré la virulence de certains passages, et son âge d'une vingtaine d'années seulement. L'album est une plongée brute dans la vie de nombreux jeunes dans la même situation que lui, sans glorification ni fantasmes pour ce mode de vie pour les accompagner. A l'instar des gangstas rappeurs façon N.W.A qui commencent à s'imposer et pratiquer un style de rap de plus en plus populaire sur la côte ouest.
Ce disque est intéressant aussi de ce point de vue, puisque chaque titre transpire l'envie de se faire entendre, de mettre le doigt sur les problèmes de cet environnement nuisible mais aussi sur la responsabilité de la société américaine. Sans fard, ni attitude glorifiante ou exagérée, le rappeur raconte son univers, ses peurs et ce qui le révolte. Le single ''Brenda's got a baby'' est alors l'exemple le plus probant. Inspiré d'un article dans le journal, le morceau raconte d'une traite la vie d'une jeune fille de 12 ans tombée enceinte. L'occasion pour mettre en lumière l'abandon de la jeunesse laissée à elle-même, la responsabilité de la famille et du père, mais aussi du regard de la société toute entière face à ce désastre. Tout comme ''Trapped'' explique l'impasse dans laquelle se retrouve un américain s'il possède la mauvaise couleur de peau, tel un fardeau avec lequel il devra porter toute sa vie.
2Pac n'hésite pas à utiliser la manière forte et use de mots qui vont droit au but. Si son expérience pour la poésie se retrouve dans beaucoup de rimes et de construction de morceaux, parfois le MC préfère y aller de manière frontale. Dont la piste ''I don't give a fuck'', ''Tha' lunatic'' ou encore ''Something wicked'', véritables prémices à des brûlots bien plus violents dans ses prochains albums. 2Pac montre ses différents visages sur cet album et y met toute sa fougue et sa rage. Dommage que par moment la production n'arrive pas suffisamment à retranscrire cet énervement et soit en deçà de l'interprétation du californien. Son ancien mentor Shock G est aux manettes pour trois instrumentaux et son style transparaît partout. Le funk est présent, mais torturé et maltraité. Les beats parfois sales et grossiers, pour un résultat parfois rudimentaire ou qui aurait mérité mieux. Mais déjà la voix de Tupac sort du lot, capable de capter l'attention, d'exprimer en un instant des émotions différentes, et l'impose comme un rappeur doué et charismatique. 2Pacalypse Now n'est pas son album qui vieillit le mieux, mais il renferme suffisamment d'authenticité et de promesses pour oublier ses gros défauts. Surtout que l'autre single ''If my homie calls'', ou même ''Part time mutha'' ont le potentiel de devenir des tubes avec leurs sonorités plus douces et soul. Encore une influence qu'il utilisera par le futur, ce qui lui réussira à chaque fois.
Ce disque est primordial pour comprendre les débuts du parcours de 2Pac, de son enfance tiraillée entre engagement politique familial et l'amour pour l'art, jusqu'à son élévation au rang de martyr et de meilleur rappeur de tous les temps. Il permet aussi de briser le coup aux mauvaises langues qui le limitent à une figure violente et agressive, sans voir qu'il était capable de rassembler et de créer le dialogue. Une apocalypse était en marche, à l'Amérique de voir si elle aimait dès le matin l'odeur du napalm qui se dégageait des rimes assassines de 2Pac.