Tout vient à point à qui sait attendre pourrait être le mantra du groupe américain Arrested Development. Correspondant à la durée qu'ils ont mis à signer leur premier contrat en maison de disque, le titre de leur premier album en dit long sur le parcours des musiciens d'Atlanta. Il faut dire qu'en ce début des '90s, leur style musical est plutôt différent des carcans du rap américain de l'époque. Difficile de se faire entendre quand les voisins californiens partent dans une croisade gangsta et que les MCs de la côte Est préparent une réponse plus sombre et agressive.
Malgré cette montée de la violence dans les propos, un collectif comme les Native Tongues composé des cool Jungle Brothers, De La Soul ou même A Tribe Called Quest résiste à l'animosité montante en proposant une musique consciente, fun et originale. Mieux encore, leur travail est salué par la critique, et leur leader deviennent des figures respectées même parmi les autres MCs plus têtes brûlées. Malheureusement Arrested Development part avec un handicap de plus, ils viennent du Sud, en Géorgie. Une région qui compte déjà des figures emblématiques mais qui n'arrive pas encore à faire parler d'elle comme les scènes des deux côtes.
Avec un univers porté sur un retour à la nature, plutôt écologique, conscient et cool, le groupe essaye avec la meilleure volonté du monde de s'intégrer au rap du pays de l'Oncle Sam. Chose faite lorsqu'ils signent un contrat avec le label britannique Chrysalis Records, branche de Warner. Maison de disque créée en 1969 et qui a signé dans son passé des groupes comme Blondie, Gang Starr ou encore Jethro Tull. Et le moins que l'on puisse dire avec cette attente, c'est que le jeu en valait la chandelle.
L'année de sa sortie, 3 Years, 5 Months & 2 Days in the Life of... , est numéro un du classement Pazz & Jop du magazine Village's Voice et permet à ses créateurs de gagner le Grammy du Meilleur Groupe Espoir et celui de la Meilleure Performance Rap par un Duo ou un Groupe l'année suivante pour le titre "Tennessee". Le même morceau qui est actuellement classé parmi les 500 chansons qui ont marqué le Rock & Roll du Musée du Rock & Roll Hall of Fame. Succès critique comme publique, l'album est 3ème du Top R&B/Hip-Hop Albums et 7ème au Billboard 200 à sa sortie, et est présent dans l'édition 2003 du livre "Les 1001 albums qu'il faut avoir écoutés dans sa vie". L'album peut être vu comme l'un des premiers albums rap sudiste à attirer l'attention sur lui et sa région, bien avant OutKast et leur ATLiens qui arrivera quatre ans plus tard.
Ce qui n'est vraiment pas mal du tout vu l'attitude peace & love du groupe et du climat de rivalité qui commençait à s'installer dans le paysage rap national. Avec Del Tha Funkee Homosapien, The Pharcyde en Californe et bien sûr les Native Tongues à New-York, Arrested Development prouve qu'un message conscient et détendu est possible partout dans le pays. Il faut dire qu'en matière de messages positifs et de causes défendues, le groupe d'Atlanta fait fort et pourrait même être classé de groupe écolo, après que leurs collègues De La Soul aient été qualifié de "groupe hippie".
Composé du leader Speech, et de son ami DJ Headliner, Arrested Development compte une dizaine de musiciens en tout, chacun apportant sa pierre à l'édifice. Speech reste le rappeur principal sur la majorité des titres et le producteur de la totalité des musiques des quinze titres de l'album. Le résultat musical de l'album restera la signature du groupe pour les projets suivants. Une musique hip-hop qui reste tout de même très accrochée à ses racines africaines ainsi qu'aux autres mouvements musicaux noirs comme le funk et le jazz. En 57 minutes, l'album fait voyager l'auditeur à travers la musique noire à la sauce hip-hop, lui donnant une authenticité indéniable, ainsi qu'un côté très attachant. Le tout sans oublier d'être groovy.
Ainsi des titres comme "Mama's always on stage", "Fishin' 4 religion'' et "Give a man a fish" sont diablement efficaces et poussent sans la forcer n'importe quelle personne à danser. Tandis que "Raining revolution" avec ses bruits de pluie en fond, tend plus du côté du blues et "U" du jazz avec ce final superbe de cuivres. Parfaitement rythmé, 3 Years, 5 Months & 2 Days in the Life of... ne s'arrête jamais et arrive à trouver les bons moments pour proposer des moments plus lents pour ensuite revenir de plus belle avec un morceau dansant. Le groupe a aussi la bonne idée de ne pas plomber ses messages conscients par des ambiances anxiogènes, bien au contraire. Le public est face à un album positif, optimiste et les musiques sont bien là pour le rappeler, même si les paroles abordent des sujets sérieux.
Le super "Natural" et sa batterie couplée à la guitare parle de la beauté féminine sans artifices, "Mr. Wendal" et sa basse évoque la rencontre de Speech avec un sans abris, et "People everyday" raconte les faits et méfaits de tous les jours qui font de chacun une personne normale avec un soupçon de reggae. Les paroles sont faciles à comprendre, le message conscient et le flow maléable parfois proche du chant. Il y a d'ailleurs une grande part de spiritualité dans cet album. Cela se ressent autant dans les choeurs féminins, que dans l'évocation de Dieu, faisant planer l'influence du gospel sur l'album, comme à la fin de "Tennessee".
Album très agréable, rafraîchissant et optimiste, 3 Years, 5 Months & 2 Days in the Life of... s'écoute sans mal avec le pouvoir de donner le sourire. Sans oublier de parler de sujets sérieux qui leur tiennent à coeur mais toujours avec une dose de joie, Arrested Development signe avec leur premier album un travail très réussi qui fait réfléchir autant qu'il fait danser. S'il leur a fallu 3 ans, 5 mois et 2 jours pour signer en maison de disque, leur musique résonne encore plus de vingt ans après avec la même authenticité.