Le week end, je découvre Blackstar en prenant mon temps....J'ai l'impression que Bowie se pose enfin au niveau de sa légende un peu malmenée depuis les années 1980...Lundi matin, Life On Mars ? passe à la radio et le journaliste annonce la mort de David....Voile noir alors très soudain devant mes yeux... et défilent alors dans mon esprit ses pochettes d'album dont celle de David Live si funèbre. Je m'entends crier...Bowie est mort... je n'y crois pas...C'est clairement la fin d'une époque tant il m'a accompagné au gré de ses métamorphoses, incarnant avec élégance le droit de se jouer de tout et de suivre son chemin...chaotique quelquefois, souvent singulier..un charisme bien à lui dans l'allure, le visage et la voix....étrange et fascinant.
En 1996, Bowie déclarait en entretien ces lignes prémonitoires : "Quand j’étais plus jeune, j’ai pu croire par moments que je ne mourrais jamais – c’était d’ailleurs une idée très troublante, “Vais-je mourir ou suis-je immortel ?” Mais maintenant, j’ai accepté le fait que la mort allait venir, qu’elle fait partie de ma vie. Ma mort est une partie de ce que je suis. Ma mort est extrêmement importante à mes yeux. Je comprends maintenant parfaitement l’approche que les moines zen au Japon ont de la mort : ils estiment qu’il faut utiliser sa mort. La mort devient une entité qui est là pour être employée. Concrètement, cela signifie qu’on peut décider que son cœur va s’arrêter de battre un jour précis, un jour choisi – il y a des exemples concrets. Ou alors, on peut s’immoler avec de l’essence si l’on veut faire de sa mort un acte démonstratif. La fin de la vie peut alors constituer une sorte de commodité, quelque chose que l’univers offre à l’homme. Et je trouve cette idée admirable, elle me fait rêver parce qu’elle ouvre tellement de perspectives : vais-je choisir telle ou telle mort, vais-je me laisser emporter passivement ? Faire quelque chose de sa mort, quelle expérience glorieuse ! Ne laissez pas votre mort traîner dans un coin, inutilisée (rires)…"
Anniversaire stellaire et testamentaire pour Bowie qui prend la mort à revers en la mettant au service de son art. Et donc Blackstar qu'il nous laisse dans ses derniers jours...album sombre, complexe et sophistiqué. On percute mieux sur la présence de ces photos du livret ou l'artiste regarde son ventre avant de se plier en deux en nous tendant la main comme si la Faucheuse commençait à renifler sa trace (évocation de son cancer du foie ?). Avec la ligne d'harmonica du titre A new Career In A New Town de Low, la dernière chanson sonne comme un ultime salut. C'est à pleurer. Quant au clip Lazarus, crépusculaire à souhait, qu'il (c)hante de manière si fiévreuse, j'y vois le trouble jeu entre David Jones, simple mortel en train de trépasser sur son lit d'hôpital, et son double Bowie, créature vêtue comme en 76, disparaissant dans son armoire cercueil dans une gestuelle de Nosferatu de film muet. Heureux en somme que cet esthète véritable ait quitté ce monde sur un tel coup d'éclat achevant ainsi son odyssée artistique de manière si théâtrale. Par cet ultime coup de maître, le chanteur très mal en point livre un dernier opus bel et bien funèbre, étrange et saisissant. Au bout de ses forces, Bowie donne tout et nous quitte avec classe. Comme un frisson supplémentaire, un an plus tard, jaillit le titre No Plan avec Bowie semblant chanter en apesanteur fantomatique depuis l'autre monde.
https://www.lesinrocks.com/musique/en-1996-mehdi-belhaj-kacem-interviewait-david-bowie-pour-les-inrocks-174192-20-07-2020/