★
7.6

Album de David Bowie (2016)

Plusieurs mois plus tard, je fais cette chose un peu folle et absurde qu’est d’écrire une critique d’un album de David Bowie … Oui, mais avant que l’artiste nous quitte, il nous a laissé une dernière magnifique collection de chansons qui méritait qu’on s’attarde dessus. Donc avec une certaine appréhension mais une réelle passion, voici ma critique de ★.


Il y a trois ans de ça, David Bowie avait créé une certaine euphorie le 8 janvier 2013 en révélant Where Are We Now ?, premier extrait d'un vingt-quatrième album que plus personne n'attendait vraiment. The Next Day était pour de nombreux aficionados l'opus le plus ambitieux que l'artiste avait conçu depuis bien des années, s'inscrivant dans la lignée de ses efforts précédents (même s'il fallait pour cela revenir une dizaine d'année en avant) mais avec une inventivité beaucoup plus grande. Une fois l'euphorie passée, il trônait dans le palmarès des meilleurs albums de l'ex-Ziggy Stardust sans pour autant accéder au statut de chef-d'oeuvre.


Le 8 janvier 2016, David Bowie révèle , dit Blackstar, un disque de sept pistes dont certaines ont déjà été plus ou moins révélées ces dernières années. La surprise ce coup-ci n'est pas la sortie mais bel et bien la musique. se présente comme un disque de jazz à la sauce Bowie. Ayant réuni autour de lui des musiciens du genre, le chanteur s'improvise en jazzman sur une musique hantée et hantante, sombre et mystique. L'interprétation de Bowie est saisissante : parfois étrange et possédée sur la piste-titre, pop et nostalgique sur I Can't Give Everything Away ou offrant des touches d'improvisation typique des jazzmen sur 'Tis A Pity She's A Whore (le morceau le plus marqué du disque). Sans être omniprésente, l'influence jazz est palpable à pleins de moments dans la production ajoutant de sublimes finitions dans un décor pop-rock presque sinistre. L'influence de To Pimp A Butterfly (2015) se ressent par ce côté presque sale qu'a le jazz sur la musique actuelle : un solo de saxophone apparaîtra de temps à autre pour apporter quelque chose d'encore plus lourd à une ambiance oppressante, presque dérangeante mais pourtant hypnotisante.


Le morceau éponyme qui ouvre l'album est sûrement ce qui résume le mieux ce , presque comme si le reste des chansons étaient nées d'une réflexion autour de ce titre. Blackstar se divise en trois parties : une première très lourde, à l'orchestration très chargée. David Bowie apparaît presque possédé, transformé sur une ouverture très sombre et qui n'est pas là pour mettre l'auditeur à l'aise même si, étrangement, il ne peut pas détourner l'attention de cette orchestre funèbre si atypique (c'est l'effet Bowie !). Puis Blackstar révèle une seconde partie plus lumineuse sur une production pop-rock plus classique sans jamais l'être, où l'apparition de David Bowie est presque divine. Après avoir ramené l'auditeur dans un domaine qu'il connait mieux, Bowie et ses acolytes retombent petit à petit dans le chaos fascinant de l'introduction avant de déboucher sur les six autres pistes qui composent l'album.


va jouer entre deux terrains presque opposés : une pop-rock intelligente et glorieuse et ce capharnaüm jazz. Mais plus une seule fois on sera de nouveau mal à l'aise malgré l'ambiance oppressante qu'on finit par savourer comme n'importe quel grand album de David Jones. La seule exception est peut-être le grandiose Lazarus. Se présentant comme un testament, ce titre inspiré par la comédie musicale du même nom qui n'est autre qu'une suite du roman The Man Who Fell to Earth (les fans de Bowie comprendront le sens de tout ça, Lazarus est un morceau sombre, mélancolique, épuré par rapport aux autres présents sur . “Look up here, I'm in heaven / I've got scars that can't be seen / I've got drama, can't be stolen / Everybody knows me now” chante celui qui avait déjà interprété Thomas Gerome Newton quarante ans plus tôt. Un titre perturbant qui ne sera que plus fort de sens quelques jours après sa sortie ...
'Tis A Pity She's A Whore et Sue (Or Season Of A Crime) apparaissent sur comme des morceaux up-tempo. Le premier, comme je l'ai souligné, est le titre le plus marqué par l'influence jazz que ce soit au niveau de son orchestration qui semble être un mélange d'improvisations menées par un rythme effréné, que de l'interprétation énergique de David Bowie. Le second a un ton rock beaucoup plus exprimé qui n'en enlève pas pour autant le côté fascinant propre à l'album. Girls Love Me continue sur cette lancée avec un rythme plus lent, plus régulier mais du coup beaucoup plus accrocheur. David Bowie ne manque jamais d'inspiration et d'originalité sur ces morceaux, qu'il se mette dans la peau d'un survivant de la Première Guerre Mondiale ou qu'il chante en nadsat, un langage fictif inventé par Anthony Burguess dans son oeuvre Orange Mécanique, ou en polari, un argot utilisé par les homosexuels anglais à l'époque où être gay étant encore un crime.


Lyriquement, David Bowie est encore plus fascinant et mystérieux sur . Mélangeant de nombreuses références bibliques (In the villa of Ormen stands a solitary candle / At the centre of it all, your eyes) qui vont de pair avec la présence quasi-divine de l'artiste, le disque n'est pas pour autant fort d'un contenu très personnel. Le splendide et déchirant Dollar Days semble être à ce niveau le titre le plus intime de . “Dollar days, survival sex / Honour stretching tails to necks / I'm falling down / It's nothing to me, it's nothing to see / If I'll never see the English evergreens I'm running to / It's nothing to me, it's nothing to see”. A travers des images percutantes, Bowie semble nous offrir un dernier regard sur sa carrière, sur sa vie, sur sa célébrité à travers une musique qui n'a jamais été aussi visuelle.


se clôt sur I Can't Give Everything Away, un autre titre particulièrement personnel bien que toujours très mystérieux. S'ouvrant sur l'harmonica de A New Career in a New Town, un des morceaux phares de l'album Low (1977) considéré comme l'un des meilleurs de David Bowie (si ce n'est pas le meilleur), I Can't Give Everything est un morceau beaucoup plus pop, beaucoup plus lumineux. Les influences jazz ne viennent pas ici apporter une touche plus sombre mais épaulent au contraire cette luminosité et ce solo d'harmonica glorieux. Glorieux, c'est le mot juste pour caractériser ce final plein de nostalgie. est fascinant de bout en bout, sombre, percutant, hypnotisant, mystérieux ... grandiose. David Bowie nous a offert un nouveau chef-d'oeuvre, celui qu'on attendait depuis bien longtemps.


Alors après ce 10 janvier que retenir de ce ? Et bien, ce que l'on peut dire c'est que l'écoute en devient encore plus émouvante et sublime. “Look up here, I'm in heaven / I've got scars that can't be seen / I've got drama, can't be stolen / Everybody knows me now” .... l'homme semblait se cacher une fois de plus derrière un personnage mais c'était bien David Jones qui chantait ces paroles, et non un Thomas Gerome Newton ou un Ziggy Stardust. est un testament, un dernier regard sur une vie, sur l'une des plus belles carrières de l'histoire du rock. Les derniers mots d'un artiste qui a chamboulé de si nombreuses fois la musique pop et qui avec sa révérence musicale la chamboule à nouveau. Un artiste qui a fait de sa vie et de sa mort un chef-d'oeuvre. est pour cette raison d'un des albums majeurs de ces dernières années et mérite au moins d'être écouté. L'artiste est mort, l'oeuvre est éternelle.

killyourdarlings
9

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Créée

le 15 avr. 2016

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Keith Morrison

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