Are You Shpongled? par Benoit Baylé
La trance musique est un genre à part. Aujourd’hui sous-terrain, il eut son moment de gloire à la fin des années 80. A ce titre, les étés 1988 et 1989 sont restés dans les mémoires comme l’hégire des controversées rave parties. Ces dernières furent à l’origine d’une expression fort symbolique : pour beaucoup de quarantenaires, ces fêtes incessantes furent le moyen de substituer à l’époque leur propre été 67, leur Second Summer Of Love. Démocratisées grâce à une musique électronique en plein essor et notamment à travers une de ses subdivisions, l’acid house, les rave parties connaitront leurs joies et leurs peines, les peines entraînant différentes sortes de mesures empruntées par les gouvernements des pays les plus touchés par le phénomène, comme la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Dès lors, les rave deviennent réglementées et payantes, et les fêtes clandestines, les free parties, prennent à leur tour le statut d’ennemi public numéro un. Alors que ces dernières se concentrent sur des musiques contestataires par leur forme (hardtechno, techno hardcore), les rave parties participent à la naissance de la trance musique au cours des années 90, dérivé de l’acid house.
Considérée par beaucoup (et plutôt à raison) comme un défouloir pour énervés, la trance peut néanmoins dévoiler à l’écoute quelques-uns des plus beaux secrets musicaux de l’époque. Ses subdivisions les plus intéressantes sont aussi celles qui permettent aux mélopées de se développer autour d’un psychédélisme nouveau, très influencé par la world music. Parmi elles, la psytrance et le psybient. Là où les tempos de la première restent dans la plus pure tradition trance, assez rapides, ceux du second se ralentissent pour accorder plus d’importance aux ambiances et aux textures psychédéliques des morceaux. A l’instar du duo Shpongle.
Ses deux membres, Raja Ram et Simon Posford, ont, à la formation du groupe en 1996, déjà leur nom marqué au fer d’or dans l'univers de la musique underground. Né en 1941 à Melbourne, Raja Ram est une véritable légende pour les amateurs les plus chevronnés de musique psychédélique de la fin des années 60. Membre fondateur et flûtiste du groupe culte Quintessence, il engage sa carrière en partageant l’affiche avec Atomic Rooster, The Who, America, Jethro Tull et Hawkwind. Ces débuts prometteurs, entravés par des problèmes personnels, poussent Raja Ram à quitter le milieu musical pour une vingtaine d’années. Au début des années 90, après avoir découvert la musique électronique, il décide de se refaire un nom dans le milieu en créant son propre label de trance (Tip Records), un des premiers et aujourd’hui un des plus influents. Puis il rencontre Simon Posford.
Vénéré en tant que créateur de la musique psytrance grâce à son premier album de 1995 Twisted et notamment son premier morceau, « LSD », Simon Posford, sous le pseudonyme d’Hallucinogen, devient très rapidement une des figures les plus influentes de la musique électronique des années 90. Impressionné par son savoir-faire, Raja Ram prend contact et Shpongle voit le jour en 1996. Deux ans plus tard, le premier fruit de cette collaboration voit le jour. Il se nomme Are Your Shpongled ?, en hommage à Jimi Hendrix, mais aussi en hommage à Shpongle lui-même. Car si Hendrix avait révolutionné les années 60 avec Are You Experienced, Raja Ram et Simon Posford pensent en faire de même avec ce premier opus, d’où le titre légèrement prétentieux. Certes, les innovations sont nombreuses dans cette production de 1998 mais leur caractère révolutionnaire reste à prouver.
Le tempo est lent, les ambiances aquatiques et solaires, un peu à l’instar des précédents travaux d’Ozric Tentacles. Aventureuses, les sonorités allient charme indien et frénésie occidentale. Mais malgré les audacieuses textures mélodiques, aucune d’entre elles ne parvient réellement à captiver l’attention de l’auditeur sur la longue durée. Le voyage proposé est attachant et singulier mais ne bénéficie pas d’accroches suffisantes pour permettre sa mémorisation. Aussi Are You Shpongled ? s’écoute-t-il en fond sonore, comme la plupart des musiques Downtempo. Seules la célèbre « Divine Moment of Truth » (DMT) et « Vapour Rumours » parviennent à joindre mélodies captivantes et exotisme electronico-hindou. Le jeu de flûte de Raja Ram, subtil et expérimenté, permet à chacune de ses interventions de passer d’excellents moments, mais ces dernières restent bien trop rares pour permettre à cet album d’atteindre les cieux visés.