Ombres portées
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le 28 oct. 2015
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1er août 1984 : alors qu'ils travaillaient dans la tourbière anglaise de Lindow Moss, des exploitants découvrent le corps enseveli d'un homme, dont les tissus et certains organes avaient été préservés par l'environnement acide du lieu. Surnommé 'Lindow Man', son enterrement remonterait à près de 2000 ans. S'inspirant de cette exhumation pour son second opus, le nouvel hétéronyme de Richard Skelton continue de poursuivre son virage davantage teinté d'électronique. Plus sombre également, car après le remarquable Nimrod is Lost in Orion and Osyris in the Doggestarre, The Inward Circles explore des profondeurs souterraines.
Moins rythmé que son précédent album, préférant opter pour une lenteur plus marquée, indispensable pour témoigner de la décomposition des corps, Belated Mouvements for an Unsanctioned Exhumation August 1st 1984 s'enfonce sous terre, à la manière d’une fouille archéologique. Les cordes, toujours aussi prépondérantes, creusent la tourbe de leurs cercles mortuaires, agrippent notre corps inerte vers sa tombe, six pieds sous terre. Tandis que l'on s'inhume dans les sols qui hébergeaient l'un de ces Hommes de Lindow (plusieurs ont été retrouvés), les boucles de The Inward Circles subissent le cours du temps et ses désagréments. Leur enveloppe reste intacte mais elles semblent se désagréger de l'intérieur, se délester de leur chaleur instrumentale et suivre le même processus de décalcification des os de ce Lindow Man. Les morsures électroniques corrodent l’ossature des compositions, s'insinuent insidieusement dans le timbre des cordes poreuses, qui peinent alors à contenir leur essence usée.
Une décomposition pourtant stoppée par les vitres du British Museum mais dont Skelton poursuit néanmoins le processus de transformation, dans une direction différente. Si le corps fut piégé dans un sarcophage de tourbe, l’âme du défunt suit une autre voie, plus tourmentée, en réponse à son corps dérobé, ou à la violence de son exécution — meurtre rituel ou sacrifice humain, il fut étranglé, frappé à plusieurs reprises à la tête, et eut la gorge coupée. Les plaintes déchirantes qui emplissent l’espace retentissent ainsi comme les échos de ce souffle arraché sauvagement au corps, hurlant sa douleur. Elles hantent le sol en un maelström d'âmes en peine, tracent des circonvolutions dans ce sépulcre de tourbe, tels des vautours au dessus de leur proie, bannissant le repos de la mort.
À l'inverse des deux premiers morceaux, qui plaident pour le ré-enterrement du corps et le repos de l'âme de l'infortuné, le dernier entame une autre trajectoire, complémentaire, pour faire renaître certaines espèces éteintes en Angleterre (le loup, le lynx et l’ours cités dans le titre). Guidées par les notes du piano, les cordes cisaillent, meurtrissent, telles des griffes avides de retrouver une surface qui ne leur est plus familière. Une dernière exhumation qui culmine dans un dénouement inattendu.
On ne répétera jamais assez l’importance de l’œuvre de Richard Skelton, qu’elle soit signée sous son propre nom, en tant que A Broken Consort, *AR (avec Automne Richardson) ou plus récemment The Inward Circles, pour ne citer que ceux-là. Belated Mouvements for an Unsanctioned Exhumation ajoute une nouvelle pierre à l’édifice. Idéal compagnon en cette saison automnale, il invite à se laisser recouvrir d'un linceul de feuilles mortes, à s’oublier dans ces boucles funèbres en attendant que notre sève nourrisse celle des arbres.
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Créée
le 22 oct. 2015
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