C'était mieux en RDA
6.2
C'était mieux en RDA

Album de Dubmood (2007)

Il est temps de prêcher ma propre chapelle.

La chiptune est, de façon générale, un genre qui me laisse plutôt indifférent : soit l'on y trouve des morceaux qui singent de façon systématique les anciennes compositions de la vieille époque (écouter par exemple un autre album du même Dubmood, The Lost Floppies, compilation de tous ses projets époque RAZOR 1911, courtes compositions entraînantes mais simples gimmicks sans âme), soit mêlés de façon informe à d'autres genres musicaux qui, de fait, exploitent cette composante nostalgique sans aucune vergogne (que ce soit Crystal Castles, You Love Her Cuz She's Dead et autres groupes qui font leur effet en boîte mais rapidement lourds en dehors). Puis il y a cet album, définitivement à part des autres.

"C'était mieux en RDA" a les défauts de ses qualités : en tenant de dénaturaliser la nature-même du chiptune en allant piocher ses influences du côté du prog rock (impossible de ne pas penser aux longues compositions d'Emerson, Lake & Palmer et autres Yes), Dubmood fait un album d'une cohérence monstre, mais au risque d'abrutir ses compositions d'une répétitivité évidente : il y a une certaine beauté à retrouver des ambiances développées d'un secteur à l'autre, et l'on sentirait presque une histoire se dérouler sous nos oreilles mais, le minimalisme sonore n'aidant pas, cela tourne finalement plus au gimmick qu'autre chose. D'un autre côté, il est évident que la répétition est tout à fait volontaire et n'est pas résultat d'une créativité plate : la mélodie doit être obsessionnelle pour respecter au mieux la nostalgie d'une époque démodée, celle de la mémoire limitée sur les cartouches et des musiques ne pouvant dépasser la minute mises en boucle de façon infinie. C'est une répétition qui s'apprivoise peu à peu pour les néophytes, acceptée immédiatement pour ceux qui, comme moi, ont passé des heures sur leur Master System enfant, qui devient entêtante, que l'on attend plus qu'autre chose au final.

Je reviens d'ailleurs sur le côté progressif de l'ensemble : ici les boucles se mêlent, se superposent, subissent des changements subtils qui mènent à une évolution douce de l'ensemble ; le travail de composition pur de l'album tient de l'orfèvrerie, et entre le début de l'album travaillant des ambiances pop, et la fin, reprise de "Chase the Devil" de Lee Scratch Perry, on sera passé par des loops reprenant tous les genres (deep house, electrotrash, glitch et j'en passe) mis à la sauce 8 bit : la cohésion par l'uniformité sonore. Bien sûr, c'est plus ou moins heureux, et chacun aura, de fait, ses séquences et passages favoris (le Secteur 1 est plus uniforme et dansant, là où le secteur 2 se déstructure et part dans des directions nouvelles assez régulièrement), mais ces cassures récurrentes, cette fluidité déambulatoire n'est pas sans rappeler l'évolution que fut le post-rock par rapport au rock, la folie défoulatoire en valeur ajoutée.

C'est sans nul doute une écoute intense, de celles qui ne peuvent se contenter d'une oreille vaguement attentive pour apprécier les qualités de l'album, sous peine de ressentir une impression de vague bruit déplaisant pas loin de donner la migraine : il faut s'y plonger comme dans une conversation avec un ami dans un restaurant bruyant afin d'en tirer la quintessence des expressions et des formes développées. Les répits sont peu nombreux, mais existent cependant l'espace de quelques secondes, comme par exemple au début du Secteur 2A, où les percussions se font absentes pour mieux repartir. Ici encore, tout est question de subtilité paradoxale face aux sonorités divulguées par les deux Gameboy, brutes et éructantes. Ce paradoxe peut déstabiliser, tant l'on ne s'attend pas à le trouver, et l'équilibre n'est pas toujours bien tenu, mais ces maladresses ajoutent finalement à l'impression d'écouter un morceau de chiptune "pur", de la même façon qu'on trouverait un énorme diamant brut dans une mine de charbon.

Difficile, au final, quand les sonorités chip-tunes ne vous dérangent pas, de trouver de véritables défauts à l'album : chacun de ces derniers peut se muter en qualité, et vice versa. Le fait qu'on puisse encore parler de défaut l'éloigne d'être un album majeur de la musique, mais ici, l'impression d'assister à quelque chose, de voir s'éclore sous nos yeux l'évolution d'un genre sclérosé depuis sa proclamation officielle, se fait sentir : la chiptune est morte, vive la post-chiptune. Qu'elle se propage et se perfectionne dans les années à venir.

(Pour les intéressés, quelques projets de chiptune intéressants :

- Dans le genre survolté, Anamanaguchi infuse le genre avec une énergie punk de haute volée, à écouter par ici par exemple http://www.dawnmetropolis.com/ ou encore là http://www.youtube.com/watch?v=DHmYC8a_4cI ;

- Plus posé et influencé par Boards of Canada, Robot Science n'est pas entièrement chiptune, mais reste incontestablement sous une étoile de pixels : http://robotscience.bandcamp.com/album/doodads

- disasterPEACE a beaucoup fait parler de lui (et pour de bonnes raisons) avec son OST du jeu FEZ, mais tout son travail est de grande qualité, tel que par exemple LEVEL, autre exemple de post-chiptune faisant penser aux ténors du post-rock : http://www.iimusic.net/catalog/2008/01/level ;

Et j'en passe...)
BiFiBi
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le 31 janv. 2013

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BiFiBi

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