Dur de critiquer froidement ce nouvel album de Carla Bruni, non pas à cause de son contenu musical, mais par tous les éléments politico-médiatiques qui gravitent autour. Quelque part, cela a toujours été le cas : rappelons-nous le succès énorme, véritable vague déferlante, à l’époque de Quelqu’un m’a dit Qu’aurait été l’histoire si Carla Bruni n’avait pas été Carla Bruni ? la chanteuse a bénéficié d’un double effet vertueux : celui d’être un ex-top model attirant illico presto la horde des médias doublé de la surprise que la belle ne fait pas un album de dance, plus produit que véritable disque, (qui se souvient encore des efforts de Karen Mulder ou de Naomi Campbell ?), mais bel et bien un album largement écrit et interprété par Bruni elle-même. Elle a tout de suite été propulsée véritable artiste, Raphael au féminin, à la bonne surprise de tous. Avec une telle ouverture médiatique et une telle bienveillance, le succès était annoncé…sans qu’il soit un tant soit peu question de musique et de qualité musicale stricto sensu. Débarrassé de tout buzz, étudié à nu, ce premier album pouvait dès lors être assimilé à une œuvre d’arrière garde, au disque de la bonne copine qui griffonne quelques textes sur un bout de table et gratouille sa guitare dans sa chambre. Sympathique si on est bien luné, sans aucun intérêt si l’on a mal dormi. Après l’échec du pourtant méritant No promises (petite prise de risque pour la chanteuse), Carla Bruni rentre dans les clous et réactive son fond de commerce. Le bien-nommé Comme si de rien n’était sera chanson ou ne sera pas ! Le premier Ma Jeunesse, piano-voix, annonce la couleur et veut réactiver les grandes heures de la chanson à texte. L’émotion est partie, la poussière reste.
Par la suite, les arrangements seront plus fouillés (beaucoup plus que sur Quelqu’un m’a dit). A lire la liste des instruments utilisés dans cette grande entreprise (cordes, cuivres, rhodes, autoharp, vibraphone…), on commence à saliver en se disant que l’on va enfin écouter de la musique et pas seulement de la chansonnette. A l’écoute du second La possibilité d’une île (sur un texte de Houellebecq), on se rapproche d'ailleurs des harmonies d’une Barbara Carlotti. Mais la mode actuelle et les mauvais tics français sur le travail du mixage étant ce qu’ils sont, ces belles idées d’arrangements aux allures de délicats tissus entrelacés sont souvent repoussées dans une arrière cour, là bas au fond à gauche sous un gros tas de toiles de jute. Restent les mélodies vocales à deux balles de Carla Bruni qui surnagent contre vent et marée. Et des textes voulus légers qui ne volent pas haut. En même temps, ça marche : regardez le succès de Bénabar ! Carla Bruni veut se placer dans la grande tradition de la chanson française : vaguement bluesy (le pénible tu es ma came, le roots l’antilope), parfois swing (le temps perdu), un peu Barbara (Déranger les pierres), un peu Moustaki (le plaisant et aéré salut marin reconnaissons lui ces qualités). Mais la chanteuse ne se démarque pas du lot et ses chansons se révèlent plus insipides qu’agréables. Bref, c'est calme plat morne plaine et les baillements ne sont pas en options. Permettons-nous de soumettre à Carla Bruni une idée pour son futur album : un recueil de reprises de chansons italiennes. Sa version de Francesco Guccini lui va plutôt bien. Sa voix cassée convient parfaitement à ce genre de mélodie généreuse avec la petite touche de mélancolie qu’il faut. Cela fait un peu Festival de San Remo mais il est peut-être là son vrai style. Sinon, la pochette est belle.