[Lire la critique sur Le Scopitone]
Ce premier album constitue une étape à la fois délicate et décisive pour Conchita Wurst. Désireuse de devenir une véritable chanteuse, elle doit avec ce disque rendre le son aussi consistant que l’image, dissimuler la barbe (pourtant emblématique) derrière les chansons. Pour la première fois, ce personnage de femme à la pilosité glamour qui lui a offert une exposition incroyable va potentiellement lui nuire.
Consciencieuse, Conchita Wurst a pris son temps. Au cours de l’année écoulée entre sa victoire à l’Eurovision (10 mai 2014) et la sortie de ce premier disque (18 mai 2015), elle a parcouru l’Europe et multiplié les expériences (défilés de mode, revues au Crazy Horse, rencontres avec des politiciens de haut rang) afin de familiariser le public avec son personnage, de banaliser la barbe. Elle a surtout commandé des chansons à des auteurs, et sélectionné des titres que d’autres lui proposaient. Si aucune personnalité musicale forte ne se dégage de l’ensemble, ce dernier présente une part de fantasme : chaque auteur était invité à imaginer sa Conchita, son univers, la couleur musicale dont ils voulaient la voir se vêtir.
Le résultat est surprenant, et réussit à être à la fois varié et fidèle à l’image véhiculée par Wurst depuis douze mois. Fan des grandes divas, elle nous promène à Vegas et Broadway, de l’électro à l’orchestral. En adepte du déguisement, elle est à la fois Céline Dion et Liza Minelli, RuPaul et Adèle. En découle une quantité inespérée de très bons titres : Where Are the Good Men Gone (ironique et burlesque, aussi décalée qu’irrésistible), Out of Body Experience (dans laquelle elle joue à l’icône bollywoodienne, mystérieuse et sensuelle), les hymnes Rise like a Phoenix, You Are Unstoppable et Heroes, la bombe dancefloor Up for Air ou encore la très jolie ballade de clôture The Other Part of Me, sur laquelle la voix de la chanteuse a rarement été aussi mélodieuse. Paradoxalement, c’est sans doute dans le registre de l’icône de gay pride qu’elle convainc le moins : Firestorm a ainsi tous les arguments pour briller en soirée, mais fait presque tache lors d’une écoute intégrale. Globalement, l’album séduit par l’envie de bien faire : de vrais instruments, des mélodies efficaces, un mixage soigné et une absence salutaire de fade out (qu’il est plaisant –et rare– d’avoir des chansons avec de vraies conclusions !).
Le personnage burlesque de Conchita Wurst et son statut de gagnant de l’Eurovision vont sans doute faire fuir le public français. C’est dommage : présenté par n’importe quelle autre chanteuse, ce disque s’en serait sorti avec les honneurs. Ses chansons sont de celles qui nous accompagnerons sous la douche, sur le chemin du boulot, au quotidien. Il est donc recommandé de déposer les a priori à l’entrée et de faire connaissance avec cette chanteuse honnête et profondément sympathique, donc on espère qu’elle aura l’occasion d’évoluer et grandir.