En changeant d'identité, Luke Temple s'est acheté une liberté. Et ce nouvel album, hétérogène dans ses résultats et homogène dans sa perpétuelle originalité est la preuve irréfutable que Temple n'est pas un Elliott Smith de plus. On aimait déjà l'Américain avec ses deux précédents albums où une touche toute personnelle était apportée à une indie folk parfaitement troussée. Sur Snowbeast, il ajoutait de l'électronique à ses instruments acoustiques. Il pousse plus avant l'expérience, programmant aujourd'hui sur de vieux synthés qui semblaient avoir été mis au rebut depuis la fin des années 70 (ceux-là même qui avaient fait les beaux jours synthétiques de Brian Eno ou du Krautrock). Ce qu'il en fait est pour le moins original : une rythmique froide comme la mort qui se met dans une boucle afro-beat (Only pieces chanté d'une voix sucrée à la Paul Simon ; I just want to see you underwater sorte de complainte abstraite de griot africain).
Sur Ahab, Temple tricote un paysage africain de funk blanc, comme l'avait fait jadis David Byrne. Fangela, songwriting pop minimal, accumule petit à petit les strates Fisher Prices pour acquérir une classe inédite. Tunnelvision aurait pu être un vrai tube de dancefloor accrocheur mais pour notre plus grand bonheur, Temple saborde son impact potentiel en choisissant une grosse caisse cotonneuse et en mettant ces guitares dans une obsessionnelle boucle irradiante (pour un résultat qui joue sur la persistance auditive). Invendable aux DJs mais totalement estimable. L'Américain n'a aucune velléité commerciale et s'autorise quelques intermèdes mi-ambiant mi bruitistes totalement mystiques qui montrent tout le chemin parcouru depuis Hold a match for a Gasoline World qui en faisait alors un compagnon de route d'Andrew Bird. Ce n'est pas ce qu'on préfère de lui quand même. L'album se termine sur Everything's big une ballade plus classiquement folk mais de belle tenue. Comme quoi, Temple n'a pas oublié aussi ses fondamentaux. Que fera-t-il pour le prochain ? Avec lui, tout devient possible.