« Everything goes and comes in time ». Il y a des paroles qui en disent long, surtout quand elles ouvrent un album. Le groupe Rivulets officie depuis bientôt vingt ans mais il semble que son heure soit venue de récolter un brin de reconnaissance avec ce sixième LP paru en 2018 chez le label bordelais Talitres, une maison parfaite pour abriter cette musique délicate et abrasive, aux côtés d’autres artistes à écouter absolument : Stranded Horse, Micah P. Hinson, Raoul Vignal, Will Stratton, Frànçois And The Atlas Mountains, etc.
D’ailleurs le label présente le groupe comme véhiculant « une énergie noire et contenue », ce qui donne d’emblée le ton. Ce que la pochette ne contredira pas : pas de nom, juste une photographie en noir et blanc, avec une eau plus noire que blanche – mais avec quelques lumières au loin quand même. Signe annonciateur.
Il faut dire que le trio mené par Nathan Admundson, originaire de Minneapolis mais résidant depuis de nombreuses années à Denver (accompagné aujourd’hui par le batteur Nathan Vollmar et le bassiste Francesco Candura) n’a jamais fait dans la pop sucrée. Mais là où In our circle fait mouche, c’est dans son sens de la mesure : certes on a bien affaire ici à un folk électrique minimaliste et sombre, slowcore comme on dit, mais jamais oppressant. L’esthétique générale est dark, tant dans la musique que dans les paroles, mais comme la pochette, cette esthétique est traversée de rais de lumière et surtout elle respire. Et l’auditeur avec. Oui on a les idées un peu noires mais on ne surcharge pas : la musique de Rivulets n’a pas besoin d’être démonstrative, elle est même assez basique mais génère une beauté sidérante, lancinante et captivante, tout comme les paroles qui sont parcimonieuses, simples dans l’ensemble mais qui frappent toujours juste. L’album s’ouvre d’ailleurs sur cette phrase qui en dit long : “I’ve been hiding from life for a while”.
Le charme prend parce qu’il y a de l’espace entre les instruments, que la guitare dédouble sa personnalité, jouant des accords tantôt clairs tantôt saturés. On croit tout du long que ça va finir par exploser mais non, tout est retenu, le désespoir couve mais reste pudique et délicat : “I’ve got so much time to die / not today”.
Rivulets, soit en anglais « des petits ruisseaux », mériterait vraiment de voir son cours se gonfler afin d’inonder quelques plaines musicales françaises bien trop désertes. Et que ceux qui apprécient certains groupes des années 90, type Low, Red House Painters ou Songs: Ohia n’hésitent pas à jeter une oreille. La mélancolie élégante a encore de jolis atours et de beaux jours devant elle.