Dawnbringer est un très joli nom de groupe que l’on pourrait traduire par « le porteur d’aube ». Au même titre que l’aube est une frontière instable entre nuit et jour, ce quatuor américain qui pratique le heavy metal joue avec Into the Lair of the Sun God d’un équilibre fragile qui en théorie pourrait le faire rapidement basculer du côté du mime un peu grotesque ou de l’hommage trop poli aux ténors du genre. Mais il n’en est rien, le groupe réussit avec ce dernier album à effacer progressivement ces deux risques pour en tirer une vision finalement personnelle. Voilà une belle leçon d’humilité et de confiance en soi.

Une image vient à l’esprit dès les premières mesures de I, morceau inaugural de Into the Lair of the Sun God : celle de chevelus à frange portant jeans moulants et blousons en cuir, une jambe posée sur l’enceinte de retour scène, et bien sûr l’inusable Gibson Flying V entre les bras. C’est le cliché du groupe hard des années 80, celui qui a fait (et fait encore) les beaux jours d’Iron Maiden. On cite volontiers ces anglais parce que le groupe traverse les époques avec une facilité déconcertante, continue de remplir des salles gigantesques en 2012 comme ils les remplissaient trente ans plus tôt. En l’occurrence Dawnbringer s’inspire du sextet à l’envie (sauf pour l’apparence heureusement) : mélodies héroïques, distorsions propres, soli virtuoses et accrocheurs, la patte d’Iron Maiden est là ça ne fait aucun doute. Cet anachronisme présent dès les premières notes, qui renvoie volontiers à une mode vestimentaire franchement kitsch et à un son souvent raillé (le heavy metal c’est aussi Def Leppard et les Scorpions), interroge sur le contenu du disque. Dawnbringer poussera-t-il le vice jusqu’à singer de manière un peu bécasse ses glorieux aînés ? Non, ouf, les Dawnbringer resteront jusqu’au bout de Into the Lair of the Sun God à l’image de leur look : sobres.

Au-delà des signes de reconnaissance évidents et savamment dosés, s’impose une autre image beaucoup plus flatteuse – même si on aurait pu se contenter d’un bel hommage respectueux – : celle de quatre hommes qui savent proposer et pas seulement disposer de leur héritage. L’enchaînement limpide (on pourrait même parler d’encastrement) des neuf morceaux, l’apparition soudaine de plans beaucoup plus lourds et lents (VII) et de guitares plus abrasives (VIII), lorgnant vers un genre plus apocalyptique, montrent un autre visage du combo, clairement porté par une énergie et une dynamique qui leur est propre. Et puis le concept album en dit long sur leurs ambitions : ils ne sont pas là pour jouer du registre de la nostalgie bas de gamme, mais pour imposer leur son, leur vision du heavy metal, sans ironie ou vénération aucune. La puissance et l’efficacité de leurs compositions est aussi une autre preuve du sérieux de leur implication. Les quatre de Dawnbringer y croient à mort et cela provoque une émulation que rien ne peut entacher, pas même le souvenir de ces nombreux groupes sujets aux plaisanteries, façon Spinal Tap, et associés au même mouvement il y a des années.

Le meilleur exemple pour bien comprendre sur quel créneau dangereux officie Dawnbringer reste l’improbable V, qu’on pourrait d’abord croire sorti d’un album des inénarrables Scorpions. La voix éraillée de Chris Black, qui tient les rênes de son groupe, n’en est qu’une réminiscence supplémentaire. Mais lorsque s’invitent au milieu des accords victorieux et du grain gras des guitares un solo de toute beauté, des bribes d’harmonies mélancoliques et un final désespéré on est conquis, et on en vient à regretter d’avoir douté. L’honnêteté de Dawnbringer a quelque chose de superbe, qui nous incite à les soutenir becs et ongles. Ainsi ils ne cherchent pas à cacher leurs influences derrière de vains effets de manche parce qu’ils sont précisément fiers de ces influences. Leur talent fait le reste, balayant d’un revers de la main les accusations de vulgaires copieurs. Les membres de Dawnbringer sont comme tous les musiciens d’aujourd’hui, ils construisent leur univers à partir d’un passé musical qui les a forgés. Eux privilégient simplement la solidité des compositions, misent sur leur force de conviction plutôt que sur une prétendue originalité factice et ostentatoire. La simplicité et la franchise ont souvent du bon.

Créée

le 2 janv. 2019

Modifiée

le 11 juin 2024

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François Lam

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