Angil, c'est un peu le Lars Von Trier de la musique. Le Stéphanois revient chaque fois avec un nouvel album où il étonne, se réinvente en soumettant sa musique à des contraintes. Après l'épisode John Venture (avec Broadway), Angil s'attaque à l'Oulipo. Pour mémoire L'Ouvroir de Littérature Potentielle initié par Queneau proposait de créer des nouvelles formes littéraires en y intégrant des contraintes d'ordres mathématiques. Comme une souris de laboratoire qui créerait son propre labyrinthe avec mission d'en sortir. Rendons à César, Frandol avait déjà été attiré par l'adaptation de ces procédés dans la musique pour son album Oulipop. Mais Angil, avec son esprit torturé et joueur, va plus encore loin. Il reprend le principe de Pérec dans son livre la disparition enlevant la lettre "E" de ses textes mais combine cette absence avec une autre, celle de la note mi (E en notation) sur tout l'album. Yes avait déjà un peu fait ça dans Close to The edge avec le sol. Mais les deux ensembles, dans ce qui apparaît finalement comme un album de pop (dans le sens "populaire" par opposition à un album de musique contemporaine) avec des morceaux presque grand public comme la gracile Narrow minds ou le catchy In Purdah, cela devient du quasi inédit. Ce qui est toujours remarquable, à l'instar de John Venture, c'est qu'une fois le principe connu, on l'oublie totalement pour ne plus apprécié que la musique. Il y a toujours cette petite voix qui nous rappelle en permanence que "c'est sacrément fort".
La musique justement, entre Teaser for matter et Oulipo saliva, il y a une monde qui s'appelle Hiddentracks. Cet album, loin du travail de solitaire du premier, intègre carrément le groupe ; et si ce n'est pas le travail de composition, l'essentiel travail d'arrangement se fait de manière collégiale. La guitare folk a donc presque disparu (elle revient en fin de parcours sur le swell-ien Final list) au profit des cuivres, instruments cardinaux d'Oulipo saliva, qui donnent une couleur jazz à tout l'album (Charlie Haden et John Coltrane). Mais le groupe ne s'arrête pas en si bon chemin, témoignant encore une fois de son envie de décloisonner un peu. Angil chante bien comme un vrai songwriter folk avec sa voix fragile touchante ; il ne slame jamais même s'il accentue le rythme et accélère le flot notamment sur Trying to fit ; d'ailleurs l'influence du hip hop se ressent partout dans le travail rythmique et l'usage des boucles. Oulipo Saliva est aussi bâti sur des cordes en attente, à l'abri du vent mais prêtent à vous sauter à la gorge (In purdah avec des arrangements proches de ceux pratiqués par Brodsky quartet). Il peut-être aussi électrique et totalement free sur le larvé puis dissonant You most (avec un petit côté Tuxedomoon). L'album se déguste sur tous ces niveaux de lecture, subtil équilibre entre les différentes pistes d'enregistrement et sa riche instrumentation. Jusqu'où ira Angil pour son prochain album ? Plus loin sans doute. Mais en attendant, on jubile !