"Forget about the house of God and blow away this house of cards."
Tout d'abord, petit préambule sur le groupe : Reverend Glasseye and His Wooden Legs (le nom complet) est un de ces pas si nombreux groupes qui constituent ce que l'on appelle le Denver Sound. Le Denver Sound est un mouvement faisant le pont entre la country et la musique gothique, dont les plus illustres représentants sont sans conteste les 16 Horsepower (et je vous invite à aller y jeter une oreille, parce que c'est vachement bien). Notre Révérend, répondant au sobriquet de Adam Glasseye, avait officié auparavant au cœur du non moins bon Slim Cessna's Auto Club, où l'on retrouve, entre autres, l'autre tête de file du mouvement, à savoir Jay Munly.
Sur ce, recentrons un peu le sujet. Le premier album des jambes de bois, "Black River Falls", se démarquait des autres productions du genre en adoptant une posture résolument moins rock, s'éparpillant entre le bluegrass et le cabaret, avec même des petites pointes tziganes. C'était déjà le cas chez d'autres groupes du genre, mais de manière bien moins prononcée, toujours encadré, ou soutenu par une structure très binaire. Sur "Black River Falls", on s'en foutait du rock, et c'est peut-être ça qui a plu puisque l'album est le seul de la troupe à avoir une (petite) renommée.
A ce premier album, se succède donc celui qui nous intéresse présentement (enfin ! se disent les deux du fond qui sont restés par politesse). Plus rock, moins varié, plus cohérent aussi. Plus classique ? Je le concède. Plus banal ? Alors ça non, certainement pas !
"Our Lady of the Broken Spine", pour moi, c'est l'équilibre parfait. Le premier album leur avait permis de tester tout et n'importe quoi avec plus ou moins de bonheur (et un certain talent, tout de même), ici, ils ont empruntés une direction bien définie, jusqu'au bout et sans s'en écarter. De fait, l'album se tient à la perfection. Là où, auparavant, certains morceaux semblaient un peu gratuits, récréatifs, ici, chacun d'eux fait sens, s'imbriquant parfaitement dans la logique de l'album. Schématiquement, cela se fait en alternant entre les morceaux lyriques, d'une puissance terrassante, et les morceaux plus entraînants, plus rock, accélérant ainsi le rythme de l'album. Procédé classique mais terriblement efficace. Ceci dit, c'est très caricatural car les morceaux sont infiniment plus complets que cela.
Prenons le commencement comme exemple : vous en connaissez beaucoup, des albums qui s'ouvrent sur une piste de la trempe de "Promenade" ? Titre trompeur, d'ailleurs, puisque c'est une piste proprement écrasante, angoissante, où chaque effusion de cuivres sonne comme autant de menaces divines. Et bien entendu, on alterne temps forts/temps morts, mais pas tout à fait de façon classique, non, plutôt au gré de la narration, avec des sursauts et des creux inattendus, un peu comme un navire en pleine tempête.
Et ainsi tout le long : chaque piste contient son lot de surprises, de ruptures de tons, de trucs étonnants et inattendus. Ainsi, je suis devenu absolument amoureux des trois dernières minutes de "Sleep Sweet Countrymen". La différence avec leur premier album (on y revient toujours), c'est que chaque nouvel élément, chaque nouvelle direction fait sens, s'intègre parfaitement à l'album sans en briser la cohérence. Ce qui relève du sacré tour de force.
Je disais auparavant que l'album alternait entre les pistes lyriques, directement héritées du cabaret, et les pistes plus entrainantes. C'est vrai, mais il y a dans chaque morceau des moments lyriques, et tant mieux car c'est sur ce registre que Glasseye est le plus impressionnant, hurlant, vociférant comme un possédé, s'en est impressionnant : il fait véritablement corps avec le morceau. Même les passages les plus grotesques ou second degrés sont réalisés avec une foi sans faille envers leur musique : ils y vont à fond, tout simplement, et ce tout le long des 9 pistes qui constituent l'album. "Oh Lord, why have you been so cruel to me ?", qui conclut l'album, se voudrait plus calme afin de conclure l'album ; au final elle se révèle être un crève-cœur absolu.
"Our Lady of the Broken Spine" est un album qui s'inscrit dans une logique bien précise, dans un genre bien précis, afin de mieux les dépasser. Au final, on a là un sans-faute, rempli de moments d'anthologies, et dont toutes les influences (de 16 Horsepower aux Dresden Dolls) semblent au final bien loin. Pour tout dire, c'est un des meilleurs trucs que j'aie jamais entendu.
En plus, il est disponible gratuitement en streaming : http://reverendglasseye.bandcamp.com/album/our-lady-of-the-broken-spine
Alors vous allez me faire le plaisir de l'écouter, non mais. Ce serait dommage de rater ça.