Reshaping the Seasons for Kaori's Body par denizor

Joan Cambon poursuit son travail avec le chorégraphe Aurélien Bory, en déconstruisant les Quatre saisons pour en faire une oeuvre contemporaine. Ou comment passer de Vivaldi à Steve Reich.
Joan Cambon, aime travailler avec les autres, puisqu’il est surtout connu comme moitié d’Arca, duo qu’il forme avec Sylvain Chauveau. Et même lorsqu’il consent à sortir un disque solo, sous son nom, il le fait dans une vision collective : Sans Objet avait été crée comme bande-son d’un spectacle de danse de Aurélien Bory ; une oeuvre particulière pour le moins car les danseurs étaient remplacés par des robots. Deux ans plus tard, le musicien et le chorégraphe travaille sur, Plexus, un projet centré exclusivement sur une seule danseuse, Kaori Ito, une japonaise vivant à Paris depuis 2003 et ayant travaillé pour Angelin Preljocaj, Philippe Découflé ou James Thierrée.
Plus encore qu’un travail collectif, Reshaping the Seasons for Kaori’s body est une oeuvre sous contrainte, destinée qu’elle est à accompagner le corps de Kaori et la chorégraphie de Bory. Cela ressemblerait presque à un assemblage de poupée russe : Cambon travaille sous la contrainte de Bory qui, lui même, travaille sous la contrainte de Kaori qui, elle-même, travaille sous la contrainte de son corps, son élasticité et son endurance. Et, contrainte ultime, Joan Cambon utilise un matériel déjà existant – et non le moindre – pour composer sa musique : les Quatre Saisons de Vivaldi. A ce niveau-là , c’est bien plus qu’un simple travail de sampling, cela devient une matière faite de cordes qui le musicien tord, malaxe, agrémente de sonorités électronique, coupe ou réduit parfois à de simples battements (Blood) ou à des textures noueuses (Muscles). Tout cela dans le seul but de coller à la gestuelle d’une danseuse. Les deux, le corps et la musique, subissent ainsi un traitement de choc similaire. D’ailleurs, chaque instrumental porte le titre d’une partie du corps de Kaori, le découpant en tranche comme un médecin légiste. Comme la Japonaise remplit l’espace, Joan Cambon remplit le temps dans une sorte d’éloge de la lenteur. Les cordes dérivent au ralenti, comme des icebergs sur une mer calme. Elles entrent en résonance avec des pistes qui se multiplient, se fondent et se repoussent jusqu’à l’enivrement (Plexus, moment magnifique du disque). La musique de Cambon semble doter d’un pouvoir certain de luminescence (Hair, à vous faire cligner des yeux). Ailleurs, passée par le prisme de l’électronique, elle semble se dissoudre dans un ambiant céleste (Hand).
Par son travail, la musique baroque devient, bel et bien contemporaine et Vivaldi évoque désormais Steve Reich. Et plus certainement, elle se transforme tout simplement en musique de Joan Cambon lui-même avec, comme exemple le plus frappant, mouth ou, comme son titre peut le laisser supposer, Kaori Ito parle sur la musique, là où des samples d’extrait de film apportaient du texte à certains titres d’Arca. Même avec Vivaldi, Bory, Ito, Joan Cambon reste un musicien très personnel.

denizor
8
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le 10 janv. 2017

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