Nicolas Fromageau, tête pensante de Team Ghost, a été à une époque pas si lointaine la moitié de M83. Voilà, c’est dit, une fois de plus (*), et c’est extrêmement cruel de se sentir obligé à chaque fois de le rappeler car on aimerait dire que Team Ghost peut exister par lui-même. Mais rien à faire, on doit s’y tenir, et pour au moins deux raisons : d’abord parce que cela peut permettre à Team Ghost de récolter les fruits du succès grandissant récolté par Antony Gonzales (seul maître à bord d’M83 désormais), ensuite parce que le son du combo Team Ghost de Fromageau est toujours directement relié à ce qu’il a produit avec Gonzales.
Sur ce deuxième point Fromageau est directement responsable mais sans doute assume-t-il complètement ces racines. Il aurait d’ailleurs tort de les renier car, si on peut en effet lui reprocher son manque d’émancipation, comment ne pas voir dans Rituals une évidence déjà esquissée sur la compilation We All Shine (2011) : ce qui faisait la beauté romantique de Dead Cities, Red Seas and Lost Ghosts (2003), le meilleur album d’M83 à ce jour, c’est à lui qu’on le doit. Il ne s’agit pas ici de renier totalement ce qu’a sorti Gonzales seul sous le nom de M83, mais le départ de Fromageau a produit une rupture vers le gigantisme qui a trouvé avec le boursouflé Hurry Up, We’re Dreaming (2011) de nombreuses limites. C’est pourtant ce dernier disque qui a déclenché une grande vague d’hystérie, publique et critique, autour de M83… La preuve en est que la musique de Gonzales a servi à promouvoir l’énorme machine Cloud Atlas, et que ce dernier est aujourd’hui encore à la une pour avoir écrit la bande originale du non moins commercial Oblivion.
Par conséquent, comme dirait Brian Howe de Pitchfork, « it’s tempting to feel sorry for Nicolas Fromageau ». Oui, c’est vrai, on peut se sentir désolé de cet écart presque indécent entre l’accueil tiède réservé à Rituals et celui, outré, dont jouit aujourd’hui M83. Indécent ? Oui, on pèse le mot car si, on doit l’admettre, Fromageau ne s’est pas affranchi de qu’il a composé il y a dix ans, on peut affirmer qu’il a bien conservé la substantifique moelle de ce qui faisait la puissance de son premier projet. Quand son ancien compère l’a détourné sur des rails déjà posés d’une pop par trop grandiloquente et évidente. Rares sont ces disques qui parviennent à concilier concept et efficacité, trouvailles soniques et aspirations pop. Rituals y parvient, et on se doit de dire que Fromageau a réussi en un seul disque ce que Gonzales a selon nous échoué, semble-t-il par orgueil, à faire en deux (**).
Car enfin, comment ignorer les mélodies désarmantes (« Somebody’s Watching Me », « Dead Film Star ») qui font de Rituals un album définitivement pop ? Comment passer à côté de ces savantes et inquiétantes montées en puissance orchestrées par des synthétiseurs aussi massifs que majestueux (« Away ») ? Comment, enfin, ne pas mentionner cette veine romantique sombre qui irrigue Rituals de chanson en chanson, et qui manque tellement à la pop radiophonique d’aujourd’hui, tournée vers une lumière artificielle souvent ennuyeuse ? Team Ghost marche aux côtés de Depeche Mode et d’IAMX, dans cette obstination commune que c’est bien en broyant le noir synthétique de notre époque que l’on sort les plus beaux joyaux pop, et non dans l’éternelle et vaine fouille de l’insouciance perdue des années 60 et 70.
Voilà ce qu’affirme Rituals : malgré les guitares distordues, les claviers crapoteux, les voix salement vocodées, même lorsqu’il y a quelque chose de pourri en son royaume, la pop peut s’avérer conquérante. Et Team Ghost a donc tout intérêt à ne pas vouloir faire oublier sa filiation avec M83, d’abord pour les retombées commerciales que cela peut avoir sur le groupe, et surtout parce que, désormais, leur pop est bien meilleure ! Autrement dit : M83 est mort, vive Team Ghost.