Il y a des gens qui pensent que la qualité de la musique dépend intégralement d'une époque, d'un genre déterminé, ou encore de son degré d'élaboration ou de complexité, on nomme communément cela des "élitistes". Pourtant, le fait est que la simplicité est rarement bien évaluée en musique alors que précisément c'est celle-ci qui confère sa force à de nombreuses œuvres, la force de la musique de "Suicide" et son caractère "génial" résidait précisément dans cet aspect minimaliste et novateur : une boucle synthétique se répétant jusqu'à produire un effet hypnotique.
Claviériste de "Suicide", Martin Rev n'est pas né de la dernière pluie : il a grandi en s'imprégnant des grands noms de la musique classique et était principalement inspiré par le style "free jazz" avant de rencontrer Alan Vega et de donner naissance à quelques albums novateurs et fondateurs dans la musique électronique. Malheureusement, la discographie des deux membres du groupe fourmille d'albums intéressants (quand ils ne sont pas tout simplement géniaux) qui demeurent injustement méconnus et très difficiles à se procurer... La discographie de Martin Rev reste encore un relatif mystère pour moi...mais cet album "See me ridin'" est à mon sens une des plus belles œuvres de la carrière du légendaire claviériste et un chef d'oeuvre d'électro minimaliste.
"See me ridin'" est un magnifique ovni...une oeuvre musicale qui s'écoute paisiblement dans une bulle dont on ne veut surtout pas sortir : sorte de recueil de chansons pop/électronique avec des arrangements très épurés et très soignés à la fois, la plupart des chansons ont l'apparence de berceuses infantiles faussement naïves qui reposent sur un nombre de notes (volontairement) restreintes. L'album s'ouvre d'ailleurs sur un titre purement insolant et désarmant dans sa simplicité : "See me ridin'" n'est ni plus ni moins qu'une reprise de la suite de notes propre au solfège le plus basique qui soit : do, ré, mi, fa, sol, la, si, ré, do. La musique est simpliste à en mourir (presque "neuneu" par moments), la voix de Martin Rev n'est pas impressionnante pour un sou (il chante en utilisant toujours la même tessiture "effacée" à la limite du murmure et fait pâle figure à côté de son comparse Alan Vega) et pourtant...tout ce qui dans cet album pourrait constituer une faiblesse rédhibitoire est sublimé et transformé en force magistrale, le grotesque dans cet univers musical atypique est changé en élégance, la naïveté en générosité, et le minimalisme en pureté. Martin Rev possède l'étrange faculté de changer ce qu'il touche en or...y compris un clavier froid sur lequel il répète inlassablement ces mêmes notes qui semblent avoir toujours existé pour être enchaînées dans cet ordre là! Il semble difficile de ne pas être immédiatement saisit par l'insolence et la simplicité de "I heard your name" ou encore "Pillars" qui, avec leurs mélodies simplettes, se gravent immédiatement dans votre cerveau et vos tympans en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.
Au bout du compte : les 16 vignettes pop/bubble-gum qui composent l'album (très courtes dans l'ensemble) s'enchaînent à une vitesse affolante, l'auditeur n'a guère le temps de s'ennuyer. L'album bénéficie, de plus, d'une atmosphère planante, atypique, et absolument hypnotique...renforcée par des passages instrumentaux de toute beauté..."Ten two" en tête où différentes mélodies aériennes de claviers se superposent de façon à former une bloc homogène et véritablement savoureux pour l'oreille.
"See me ridin'" est un album grandiose qui demeure unique en son genre, une perle électro/pop planante et envoûtante dont le seul point faible réside peut-être dans ce minimalisme souvent décomplexé qui ne séduira peut-être pas tout le monde. On ne peut que déplorer qu'un tel album soit sans doute condamné à demeurer un chef d'oeuvre oublié de la musique rock et électronique...