Le sacre de l'enclume

Compositeur d'origine suisse, Israël Quellet s'était fait remarquer par le Centre Pierre Schaeffer avant de signer en 2007 son premier album sur le très respectable label belge Sub Rosa. Un label réputé pour son exigence et son éclectisme depuis les années 80 – on leur doit récemment les travaux de Bérangère Maximin (Infinitesimal) ou de Oiseaux-Tempête pour ne citer qu'eux. Sounds From There est son 4ème album, sorti il y a quelque temps, et peine encore à quitter mes enceintes. Le fait n’est d’ailleurs pas si anodin quand on a pris connaissance des instruments et sources sonores utilisés pour enregistrer l’album : outre l’orgue, les timbales et grosse caisse symphoniques, s’y trouvent du cor tibétain, du triangle, des cloches tubulaires et d’église, un cor qu'il a fabriqué, ainsi que des « chocs à l’intérieur de l’église » et une enclume (!). Soit autant de raisons pour appréhender Sounds From There d’une oreille plutôt sceptique pour certains. Et pourtant.

Enregistré dans une église, le travail de Quellet s’est imprégné de sa résonance sacrée. Une dimension déjà présente dans son précédent opus, Rythmes d’Étain, mais qui se voit ici transcendée. La qualité des prises de son effectuées et le niveau de détail et d’espace qui sont retranscrits sur le disque étant en effet ahurissants. En 4 mouvements, Sounds From There se sert de la réverbération naturelle du lieu et déploie sa symphonie pour métaux dans autant de directions et d’ambiances, comme pour atteindre les Cieux.

Une résonance d'une clarté telle que dès Mouvement 1, les claquements de doigts, les coups sur l'enclume ou sur les murs éprouvent l'acoustique du lieu et sa solidité. L'air semble lacéré de coups de fouets, assiégé sous les grondements du tonnerre et les décharges cuivrées, tandis que les murs tremblent pour maintenir la cohésion de l’habitacle. Un habitacle qu'il dévoile progressivement, alors que des bruits de pas nous mènent au clocher (Mouvement 2). Les compositions de Quellet s'élèvent alors, propulsées par un drone qui invite à la méditation, et surplombent gracieusement le lieu saint. Dans un va-et-vient incessant, les cloches accompagnent cette consécration devant l’éternel, revenant inlassablement pour mieux figer ce couronnement. Un événement marqué aussi par les frappes violentes du marteau sur l’enclume, où l’on forge ses armes.

C’est lors de l'offensif Mouvement 3 que la dynamique des instruments prendra une tournure radicalement différente, et que les armes créées seront employées pour conquérir. Une guerre au rythme des cuivres, poumons du morceau, incitant à combattre sans relâche, à ne pas perdre la cadence des martèlements répétitifs, ni son ennemi de vue. Un combat suffisamment intense pour que ses braises subsistent encore après le conflit (Mouvement 4). Dans ce vaste champ de bataille, elles luisent de leur vigueur fanée, révélant des cuivres faiblards, des cloches qui se meurent sous leur poids et une église-tombeau qui scelle cette armée d’instruments sous sa réverbération caverneuse et mortuaire.

Aussi déroutant qu’il puisse paraître à la première écoute, Sounds From There est un disque singulier, qui se détache sans mal de cette marée de sorties. Sujet à de nombreuses interprétations, il fascine par sa capacité à transporter l'auditeur hors de sa réalité, dans ce lieu saint où l'imagination réinvente sa propre histoire.

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