Angil est une tête chercheuse de la pop ; le genre d’artistes qui ne fait jamais ce que l’on attend de lui et qui se renouvelle album après album n’hésitant pas à se donner des contraintes (Oulipo saliva album écrit sans la lettre E et la note « mi »). Bien malin celui qui arriverait désormais à cataloguer sa musique. A la base, elle évoquait Robert Wyatt mais aujourd’hui ? Il faut dire que le Stéphanois aime les rencontres, le groupe à géométrie variable qui l’accompagne en témoigne. Mais Angil est allé plus loin faisant un album entier avec BR OAD WAY sous le nom de The John Venture ou avec Deschannel sous le nom de Jerri. Avec ses deux albums, Angil avait exploré un versant plus hip hop de sa musique dans une veine inspirée par Hymnie Basement (avec Jerri en version plus canaille de John Venture). Avec Oulipo Saliva, la musique avait pris des accents jazz et de ce côté là, The And en est le prolongement avec une contrebasse à la place d’une basse, une batterie discrète qui se met au diapason et un soin particulier apporté aux instruments à vent. Le Stéphanois aime se remettre en question et ici, comme exercice de style propose trois variantes d'un même thème dans trois arrangements différents : notons que seule la version 2 de Kira met les guitares en avant, ce qui montre bien l'évolution d'Angil depuis son premier album et no more guitars au titre prémonitoire. Pour The And, une nouvelle fois, Angil a soif de rencontres et s’il chante encore sur certains morceaux dans un chanté parlé entre showman et garçon sensible, il délègue en grande partie ce rôle à de nombreux invités. Un seul homme (Jim Putnam de Radar Bros) pour une pléiade de chanteuses. L’album aurait pu s’appeler « 8 femmes » car elles sont bel et bien huit et non des moindres : Laetitia Sadier, Emma Pollock, Françoiz Breut, Half asleep ou encore Raymonde Howard pour le titre le plus intense du disque Lipogram (entre Anticon et John Barry). Ces invitées donnent un aspect féminin à la musique. C’est ce que l’on pourrait croire avec le premier titre, Disculpe presque bossa, interprété en duo avec Brigitte Vautrin. Mais ce qui va apparaître comme une douceur languide s'apparente plus à de la finesse, à un jeu d'ombres et de lumière des plus ambigus. La féminité du disque est plus à chercher de ce côté là. Ainsi The And a la forme d'un iceberg : l'essentiel ne se voit pas au premier abord. L'ambiance est assagie mais derrière, les accords jazz de velours ont des arrières goûts dissonants. Avec Angil, les morceaux ne suivent pas des routes toute tracées et aucun instrument ne suit la même ligne : chaque musicien semble évoluer dans une liberté toute relative, s'émancipant de la mélodie initiale. Les lignes de chant charmeuses et souvent émouvantes (bien que bizarres et biscornues) nous maintiennent au centre, les percussions enjôleuses dessinent un monde enfantin (Thelma or Louise ?) mais les instruments nous emmènent vers des ailleurs plus chaotiques, des contrées sombres et torturées. Sail home commence trop nonchalant pour être honnête et monte vers une intensité dissonante. Sur Jackson jr Redding, les guitares sont acides et sous ses abords joyeux de fanfare et de foire, les cuivres sont assassins. De même, pas sûrs qu'il y ait de retour possible sur le poignant in the Attic. Unbroken hearts (en duo avec Emma Pollock) est un titre authentiquement beau mais cette promenade nocturne peut se transformer en murder ballad. Rien n'est jamais acquis et définitif, comme la personnalité musicale de Angil qui semble en permanence "work in progress". Avec the And, vous pensiez tomber sur un disque "décoratif" et vous découvrez une oeuvre forte et ambigüe.