On aurait aimé que Technology Won't Save Us ne soit qu'une mauvaise parenthèse dans la carrière de Robin Proper-Sheppard. Car si People Are Like Seasons avait le mérite de réintroduire le bruit avec brio dans le monde du songwriter (rappelons qu'il était le leader du combo post métal God Machine), ce dernier essai en date, lui, ronronnait sévère. Malheureusement, There Are No Goodbyes est un nouveau flop...
On est d'abord désarmé devant cette volonté à peine cachée de séduire un public plus large: adios les quelques déflagrations qui émaillaient les dernières compositions de l'anglais, et bonjour les mélodies évidentes, directes, ultra pop. Et si l'on se réfère un peu vicieusement à ses déclarations promos concernant There are No Goodbyes (soit disant son plus sombre), on pourrait arguer que c'est carrément du foutage de gueule. Et cela conforte dans cette idée que l'homme derrière Sophia joue sur deux tableaux à la fois: d'une part en essayant de rameuter une partie de son public de base (qui a du fondre après le petit Waterloo évoqué plus haut) par ce genre de petites phrases alléchantes, d'autre part en proposant au contraire un album quasiment easy listening, presque frais, en tout cas très facile d'accès.
On croirait avoir à faire un vieux loup de la politique, essayant en vain de sortir la tête de l'eau en prétendant qu'il a changé, alors qu'il creuse toujours le sillon qu'il a choisi depuis belle lurette. Pas joli joli...
Pour autant, si Proper-Sheppard veut désormais donner dans la pop gentiment mélancolique, il est dans son droit. La quête de la mélodie parfaite est finalement plutôt noble, et l'homme s'était déjà montré capable du meilleur dans ce domaine, notamment avec "Oh My Love" sur People Are Like Seasons. D'ailleurs, mine de rien, on ne boude pas notre plaisir à l'écoute de jolis titres tels que "There Are No Goodbyes", "A Last Dance (to Sad Eyes)" et surtout "Obvious", qui remplissent parfaitement leur contrat de pop-song parfaite. Tout coule de source, c'est aérien, immédiat, et point non négligeable, on les chante facilement sous la douche.
Mais là où l'on sera beaucoup beaucoup moins clément, c'est précisément sur les titres qui, autrefois, auraient fait merveille, c'est à dire sur les down et mid tempo. Il est en effet difficile de constater que "Something" et "Signs" sont tout simplement catastrophiques, proches de la mièvrerie, car désespérément prévisibles, sans aucun enjeu sonore ou mélodique, ou qu'un "Storm Clouds" traîne la patte comme un chien de course blessé... Et que dire de "Dreaming" ou de "Heartache", tant il ne se passe strictement rien, que ce soit du point de vue émotionnel ou de la construction du morceau, quand leur intimisme ne réclame justement qu'une seule chose: que l'on s'émeuve ! En vain.
Pour autant, il serait malhonnête de ne pas relever le regain de forme qui anime la fin de There Are No Goodbyes, avec "Leaving" et "Portugal" en doublé plutôt convainquant. Le petit orchestre qui soutient ces arpèges tristes et simples, que l'on connait par coeur, mais qui nous touchent encore par leur beauté, donnent indiscutablement un beau cachet à cette fin d'album douloureuse. Douloureuse car réellement triste (ce qui n'est, je le répète, pas le cas du reste de l'album), et douloureuse parce qu'elle ne parvient pas à faire oublier les petites misères que l'on s'est coltinées avant.
Mais parce que quelques morceaux pop s'imposent comme de jolis classiques du genre, et parce que Proper-Sheppard balance ses deux pépites en clôture comme un baroud d'honneur, on laisse une dernière chance de se relever de ces deux gadins pas très propres. Cette dernière chance a pris depuis la forme du très beau As We Make Our Way (Unknown Harbours) en 2016. Comme quoi, les longues pauses sont parfois salvatrices.