« Time To Be Free ». On devine aisément l’allusion. Un, parce qu’on n’est pas cons. Deux, parce qu’on s’attendait à une telle pirouette. Garder la face après deux abandons consécutifs et rapprochés (la stabilité SHAAMAN n’aura duré qu’une paire d’albums), laisser croire à une situation maîtrisée, évincer toute supputation sur le caractère du bonhomme et sa difficulté face au travail collégial, voila comment ces quatre petits mots accolés sur la devanture de l’œuvre permettent de nuancer les probables errements d’André Matos. Mieux, la tournure incite même à chercher la cause de sa bougeotte ailleurs que devant sa porte. Belle pirouette, vraiment. Après le A d’ANGRA, c’est donc au tour de celui dédoublé de SHAAMAN de perdre son compère, le A d’André. D’ANGRA à SHAAMAN, de SHAAMAN au solo, le Brésilien se brouille, s’embrouille puis se débrouille pour garder intacte cette dignité qui sied aux front-mans de légende. Ce qu’il est un peu, après tout. L’album aurait tout aussi bien pu s’appeler « Better Alone » ou « Nobody Else But Me », comme un bon rejet des Autres. Avec ce A majuscule, toujours. Car il n’a rien d’anonyme. Il est bien question de Kiko Loureiro, Rafael Bittencourt et Ricardo Confessori.
Exit les vilains d’ANGRA. Du balai, le traître à retardement de SHAAMAN. Ne restent plus des débuts que les vrais amis. Hugo Mariutti en première ligne mais aussi l’autre de l’ombre, qu’un rai de lumière a éclairé le temps de VIRGO. Sascha Paeth, bien sûr, le producteur des débuts et du présent. Douze ans de collaboration étroite. Douze ans de chemins croisés sur lesquels lui et André ont partagé la même maturation de l’homme. L’œil la repèrera dans les graisses fixées sous le menton, le combat inégal du temps face à la fertilité du front et des tempes, les coups de pinceau chenus déposés sur les endroits du front et des tempes encore fertiles. Album solo, certes, mais avec conduite accompagnée. Tant mieux, du reste, car André Matos consacre à « Time To Be Free » sa survie. Ni plus ni moins. Le projet solo comme un exutoire pour des compos marginales ou délurées prend un autre sens. De fourre-tout prétexté, il se transforme en pari. Mais aussi en défi, car mine de rien, André Matos vient de nourrir un troisième bourgeon au bout du rameau, donnant davantage encore de consistance à cette étrange concurrence qui mêle dans leurs velléités de conquêtes trois formations tirant leur racine du même lopin de terre. ANGRA, SHAAMAN et à présent ANDRE MATOS. Foison de choix.
En tout cas, une chose est sûre, « Time To Be Free » n’a pas à rougir de sa position de puîné attardé, fort d’un patrimoine génétique qui a déjà fait ses preuves. Sur son premier essai « enfin seul », André ajuste adroitement l’étrier qui devait impérativement le remettre en selle pour les années à venir. Avec un œil constamment dirigé vers l’arrière, planté sur les reliques que lui et ses compères d’antan ont disposé sur la piste du heavy. Au point que le résultat concilie à parts égales l’art d’ANGRA et la manière de SHAAMAN. Retrouvailles avec « Angels Cry » sur « Letting Go » et son intro baroque, court saut en arrière sur la case SHAAMAN avec « Rio » et ses guitares brutes, cure de jouvence période « Holy Land » sur « Endeavour », « Looking Back » ou ce « Letting Go » orchestral, hommage à VIPER sur la nouvelle version de « Moonlight ». A côté de ça, un clin d’œil à EDGUY sur un « How long (Unleashed away) » qu’on aurait pu croire composé par Tobias Sammet, comme un souvenir des sessions d’AVANTASIA ou de ce fameux duo avec le lutin allemand au festival NTS de Colombes. De « Leeting Go » et son collègue monsieur symphonique à « Remeber Why » aux élans mystiques bien en place, de « Looking Back » aux senteurs d’iodes à l’excellent « Time To Be Free » porté par un optimisme forcené, de « Rio » et son final tribal à l’intense « Endeavour », André Matos cisaille la décennie passée avec une variété attachante et sélectionne de quoi contenter un bel auditoire. Artistiquement, le chanteur ne prend guère de risque, délaisse l’avenir face au passé. Un choix prévisible, évidemment. Bien qu’il soit parvenu à signer des titres aussi forts que « Carry On » ou « Nothing To Say », il se devait de démontrer des capacités identiques sur la longueur d’un album. Voila qui est fait, le front-man rappelle qu’ANGRA doit aussi son succès aux partitions noircies de sa main. Au niveau des performances, rien à redire, la voix aérienne capable d’évoluer dans des hauteurs vertigineuses ne lui fait toujours pas défaut. On va même jusqu’à le trouver plus à l’aise, mieux positionné au regard de ses capacités. Il ne cherche plus forcément la difficulté, préférant tempérer les lignes de chant pour parfaire les émotions qu’elles véhiculent. Seul restriction face à tant d’enthousiasme et quoique les avis semblent partagés, je suis assez déçu par la tournure nouvelle de « A New Moonlight », lui préférant largement la version originelle. Pour tout dire, on troque le fougueux chanteur arborant des t-shirts d’IRON MAIDEN contre un homme assagi et habillé d’un costard-cravate. Pourquoi pas. Sauf que le réajustement se montre assez pédant, je trouve.
Un départ en solitaire franchement réussi. Le bon sens créatif du chanteur s’avère éclatant. Et pour mieux affirmer que l’histoire du heavy brésilien s’est longuement installée dans sa demeure, il a choisi un plan favorisant la synthèse au regard de l’antithèse et avec lequel il s’est intelligemment dépatouillé. ANGRA le tout-puissant, l’omnipotent qui donna une consistance crédible à l’alliance du heavy metal et du pays de la samba n’est vraiment plus seul. Après SHAAMAN, il voit un nouvel accompagnateur tracer sa route à quelque distance et avancer vers un avenir aux contours des plus agréables. Un avenir qui devrait rassurer les généalogistes. En créant le seul groupe qui ne saura lui survivre, il promet une stabilité, muselle les velléités d’un autre rejeton, refuse à une troisième mitose tout espoir. On n’aura pas droit à un « Time To Be Very Free ». André est à présent seul maître à bord. Libre à lui de jouer avec son line-up, libre à lui de parcourir les styles à sa convenance. L’entité est sienne. L’entité est lui. On la quittera peut-être, il ne la quittera pas. Ou alors, c’est qu’on a rien compris.