Des SPOILERS se sont enchainés à cette critique.
Alicia Huberman (Ingrid Bergman, lumineuse, fragile et irrésistible à la fois), fille d’un espion allemand condamné à 20 ans de réclusion par la justice américaine, accepte pour le compte du gouvernement américain de se rapprocher d’un ancien ami de son père, Alexander Sebastian, homme d’affaire allemand, fortuné, et conspirateur à la cause nazie aux côtés de plusieurs autres sinistres compatriotes, tous exilés au Brésil.
L’occasion pour Alicia d’établir son patriotisme à l’Amérique, elle qui n’épousait guère les idées comploteuses défendues par son père, mais aussi de rester au contact de son recruteur, Devlin (Cary Grant, parfait en James Bond d’avant l’heure), dont elle est tombée amoureuse.
La mission d’Alicia consiste à tomber dans les bras de Sebastian puis de vivre à ses côtés dans le but de recueillir un maximum d’informations compromettantes susceptibles de démanteler les rouages de l’organisation nazie. Las, Devlin, amoureux en retour d'Alicia, tolère difficilement les perspectives de cette mission lorsque ses supérieurs les lui exposent. Mais ne pouvant se soustraire à son devoir, il tue dans l’œuf l’embryon contestataire que ses traits tirés trahissent, informe Alicia des moyens physiques à mettre en œuvre tout en refusant de lui faire part du ressentiment suscité par l’idée de la jeune fille lovée dans les bras d’un autre. Deux motivations semblent soutenir ce choix. Outre une conscience professionnelle exacerbée soucieuse d’éviter à la mission sa compromission, la réaction de Devlin est exclusivement personnelle en cela qu’elle a des allures de test : si Alicia devait ne pas se dérober aux décisions des supérieurs de Devlin, ce serait une manière de confirmation de son peu de vertu, conformément à l’idée qu’il s’en était fait avant que l’amour ne le surprenne.
Deux intrigues vont nous intéresser. La première tient à la mission d’Alicia, aidée dans les moments de doute par Devlin. Fort simple, quoique la tension monte crescendo à compter de l’épisode des bouteilles de Pommard millésimées 1934, elle demeure un support contextuel à la seconde, la plus importante dont les ressorts dramatiques agitent la relation qui lie Alicia et Devlin. Alors qu’elle n’aura de cesse de déclarer le même amour à Devlin, acceptera de passer outre son dégout pour Alexander dans le but de mener à bien sa mission et réhabiliter son nom, lui se montrera mesquin et faussement distant, moitié par jalousie, moitié par manque de foi envers ce genre de femmes qui n’a jamais caché par le passé aimer les conquêtes et recourir à l’alcool pour soigner ses maux ou forcer son enthousiasme mondain.
Les deux intrigues finissent par converger, quand Devlin laisse libre court à son amour pour la jeune femme, prenant conscience que le poison qui coule dans ses veines n’est pas l’alcool, soupçon entretenu dès le début par de puissants préjugés (d’où lui viennent-ils du reste ?), mais une substance délétère distillée par le mari bafoué après que celui-ci eut éventé la traitrise.
La fin figure parmi ce que le maitre du suspense a composé de plus implacable et novateur.
Pas d’opposition frontale ni d’embrasement de poudre pas plus que d’échanges de coups. Non, la lutte est remportée par Devlin par l’exploitation judicieuse des propres failles du système nazi. Périclitée par la peur des représailles internes, une oppression constante, une propagande outrancière, une foi inébranlable en un système fragilisé par le maintien des forces sur de multiples fronts, l’armée allemande, rongée de l’intérieur, a perdu la guerre. Il en est de même pour le petit groupe d’opposants réfugiés au Brésil qui tue ses propres membres au moindre manquement, à l’émergence de la plus petite faiblesse, exigeant une intégrité qui tient du mythe bien plus que de la réalité.
C’est bien l’Allemagne nazie dans toute l’artificialité de sa force qui capitule une seconde fois.