Witch est l'un de ces projets voués à rester dans l'ombre. Balayé par les historiens consacrés d'un revers de main faute de vente, faute de reconnaissance, faute de tout, mais dont la présence dans les annales des meilleurs album du rock serait largement souhaitable. Vous me direz : "ouiiii, qu'est-ce que ça veut diiiire ? Un de plus ? Un 8/10 à un album qu'on n'a jamais vu nul part et ça monte direct sur ses grands chevaux pour le consacrer au panthéon des chevelus ?" mais il y a bien des raisons à ce vœu pieux et je m'en vais vous l'expliquer – longuement.
Dans le déluge d'étiquettes qu'on colle ordinairement à Witch, on retrouve le doom, le stoner, le heavy, le sludge, le psyché ou d'autres sous-genre obscurs du rock. Pourtant, force m'est de constater qu'aucune n'endosse et ne rend fidèlement honneur au groupe et à ses deux livrées que celle du bon gros rock. Si on décèle ça et là des influences vagues, on peut également inscrire la naissance de Witch dans les premières heures d'une plus large mouvance aujourd'hui plébiscitée, à savoir un rock couillu, véloce et psychédélique dans la mesure où il puise ses sources dans un hard rock à la Led Zeppelin et dans une esthétique rétro 70s. Là où dans les années 2010, on voit émerger le succès d'un groupe tel que Kadavar, la décade précédente pose les premières pierres de l'aire à suivre avec des Dead Meadow, des Witchcraft ou encore des Wolfmother. D'inspiration commune, Saint Vitus (pour la partie doom métal), Deep Purple (la vélocité d'un hard rock technique mettant la guitare à l'honneur), Led Zeppelin et ses gros riffs déjà cité, c'est de Black Sabbath, racine commune à cette nouvelle famille éloignée, dont beaucoup vont se revendiquer. Pour faire large et gros, à la fin des années 60, le métal est créé et scindé en deux branches : celle du heavy, speed et thrash métal plus largement inspiré des albums hard rock de Deep Purple, et l'autre, dark, black et doom métal, résultant de l'approfondissement des ambiances poisseuses et démoniaques du Sabbath. Mais de cette naissance a découlé plusieurs fils et cousins légitimes autour du monde, on peut penser au sludge (format et énergie punk), au métal progressif (rencontre avec le papa jazz et ses structures) ou le plus tardif drone (mix entre ambiant et minimalist), bref, autant de cases que de niches pour les amateurs éclairés. Seulement, c'est à un autre genre de rock qui a repris un peu de consistance depuis quelques années, dont l'étiquette est collée partout et souvent abusée, que l'on s'intéressera : il s'agit du stoner. Le stoner emprunte au Sabbath sa lourde et lente marche qui l'emmène dans les déserts arides de Californie et s'aventure sous acide dans d'hypnotiques contrées.
Si le stoner de nos jours a quelque peu mué et changé de visage depuis Sleep et Kyuss, je pense qu'il s'agit surtout d'une histoire de sélection dans les qualités musicales qu'il contenait, mêlées à celles d'autres genres. Ainsi, on retrouve ses longs développements chez The Machine ou le mastodonte qu'est maintenant l'excellent Elder, ou encore ce son qui lui est si caractéristique (creux, bourdonnant, chaud) chez des Lowrider ou Gravity X (deux groupes suédois étonnants); et c'est donc dilué qu'on le retrouve en compagnie d'autres genres chez ces groupes aux influences diverses, dans cette mouvance à l'honneur dans les années 2000. Tout cela nous amène enfin à WITCH ! Witch c'est d'abord un side-project de Jay Mascis. Leader, guitariste et chanteur du culte Dinosaur Jr. c'est lui qui composera et jouera pratiquement toutes les parties de leur dernier album en 1997, Hand it Over. Une fin de contrat prématurée avec son label et il se retrouve seul maître à bord du Dinosaur avec un album dont la promotion devient quasi nulle et décide de se consacrer à sa carrière solo (J Mascis + The Fog ,deux albums) avant de se mettre à composer des chansons dans un autre registre que celui dans lequel il évoluait jusqu'alors (à savoir le rock indé et alternatif proche de Sonic Youth, des Pearl Jam post-grunge et de Pavement). La présence de Mascis à la batterie (son premier instrument) dans un projet doom en 91 (Upsidedown Cross) éclaire sa tendance nouvelle et ses compositions du moment, tandis qu'il retourne surprennament derrière les fûts pour ce nouveau projet, cédant la place de frontman à un jeune freluquet du nom de Kyle Thomas alias King Tuff. King Tuff, nous le connaissons aujourd'hui pour ses premiers pas sur le label pop Burger Records, ses deux albums solo et pour ses plus récentes apparitions dans le sideband de Ty Segall, les Muggers, tandis qu'à l'époque il ne sortait d'à peu près nul part : un groupe de folk nommé Feathers, duquel il embarque à la seconde guitare son collègue Asa Irons. La magie noire entre eux prend rapidement.
Witch est avant tout un projet de réunion entre Mascis et son ami bassiste Dave Sweetapple, qui laisseront tomber le bébé pour retourner dans leurs familles respectives (Dinosaur Jr. et ses tournées pour l'un, l'anonymat pour l'autre). Mais Witch c'est aussi deux albums et deux petites tournées pour des ventes médiocres, mais c'est surtout ce premier opus qui est considérable (oui ! oui ! venons-en au fait !). De ce premier album éponyme, on ne pourrait finalement en retenir et ne parler que de cette première piste : Seer. Ce ne serait pas si injuste d'ailleurs car c'est tout simplement, de mon humble avis, l'une des chansons les plus jouissives et puissantes qui puisse exister. Vous allez me dire encore : « c'est complètement arbitraire, partial, on en connait des tonnes des chansons de fous furieux alors pourquoi en faire des caisses avec ces inconnus ? » et Jésus se retourna vers Pilate et lui dit : « c'est simple Ponce, imagine Belzébuth frappant sur des crânes comme si sa vie en dépendait, imagine que les guitares hantées t'entrainent comme des bras morts dans un labyrinthe de riff toujours plus vertigineux avant de te lâcher dans le déluge apocalyptique de notes d'un des tous meilleurs solos jamais enregistrés, imagine qu'une sorcière psalmodie, te charme, incante puis finit par se révéler être Kyle Thomas, un homme, qui te damne et t'injurie, tout dans le même temps, alors vois-tu Ponce, où tu viens de mettre les pieds ? Dans l'oreille du Diable. » Seer est prodigieuse, virtuose, malsaine, entêtante, habitée, mais aussi moite, dégoulinante et brûlante, décapante comme l'acide ; autant de termes qui ne font qu'essayer de retranscrire les mille émotions par lesquelles l'auditeur envouté passe, qui aboutiront à une transe frénétique, proche de l'apoplexie, aussi jouissive que le premier shoot d'héro, mais moins nocive quoique sur un tout autre plan, on finit définitivement piqué : on ne se lasse (et je pèse mes mots) JA-MAIS de l'écouter.
Le reste de l'album ne peut logiquement apparaître qu'en demi-teinte à partir de ce joyau, et pourtant le groupe écoule encore de belles cartouches avec au menu un pétulant et bien senti Soul of Fire, laissant place au deuxième morceau de bravoure de l'album, un Black Saint éthéré, qui finit en furie tourbillonnante avant de toucher au firmament dans son final. La suite reprend un format plus classique avec des riffs inspirés et la part belle aux guitaristes enflammés, sans que Mascis s'arrête une minute de marteler de ses burins le marbre du grand livre de l'histoire du Rock. C'est labyrinthique, hypnotique, plein de fuzz sale, scandé du fond d'une geôle d'hérétique avant de se terminer par une fausse ode à la sorcière Isadora qui finit par s'abattre sur l'auditeur comme la misère sur le bas peuple.
En 2006 donc, Witch enregistre ce premier opus magnum. Cette note de 8 n'est pas du tout représentative de ce que peuvent être Seer ou Black Saint, car ce sont des 10++ sans hésiter. Suivra en 2008, Paralyzed, toujours chez Tee Pee Records (label de Sleep, Kadavar, Spirit Caravan, Atomic Bitchwax, Karma To Burn, que du lourd quoi) plus concis dans ses compositions et par là, à mon goût, un iota moins savoureux ; puis à la sortie de la chapelle noire, le retour à la lumière pour Dinosaur Jr. et les aventures solo et pop moins convaincantes de King Tuff mais c'est déjà une autre histoire (quoique son dernier album de 2018 soit goûtu). Ce qu'il faut retenir aujourd'hui de notre papier, c'est que WITCH est une tuerie et que SEER est à se taper la tête contre les murs. Witch est l'un des rares groupes à avoir trouvé LA recette parfaite, au moins le temps d'un titre, et par là, mérite amplement sa place au panthéon, car ces huit minutes diaboliques surpassent et violent déjà la majorité des albums de sa génération : CQFD.