Nude
Il est toujours compliqué d’appréhender une création de Radiohead. C’est une bête sauvage, agile et féroce, qui se dompte avec patience. Parfois elle trébuche, est acculée dans ses retranchements,...
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le 12 mai 2016
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Thom, mon poteau, entre nous, on se raconte plus d'histoire, t'es d'accord ?
Parce que ça remonte à loin, entre nous, quand même. OK, Pablo Honey, j'étais carrément passé à côté (faut dire que j'avais autre chose à me mettre sous l'oreille à ce moment-là). Mais je me suis vite rattrapé, tu trouves pas ?
Parce que franchement, entre nous, la tournée suivante, celle de The Bend, qui vous a permis une halte au Rockstore de Montpellier en 1995, on était quoi, pour de bon… 50 dans la salle ? En comptant les trois derrière le bar ? T'as eu le temps de me regarder dans le blanc des yeux, à l'époque, tu te souviens ?
Allez, Thom fais pas chier, j'ai des preuves !
T'es plus drôle, mon gars. Arrête de râler et de poser avec ton oeil torve. Sans dec, il est loin le temps où je pourrais dire après t'avoir vu, j'ai rencontré Thom et j'ai ri.
Bon OK (computer), dès la tournée suivante, z'aviez déjà fait un gros bond en avant, au Dôme de Marseille, malgré l'acoustique locale traditionnellement déplorable.
T'avais eu toutes les peines du monde à trouver mon regard dans la foule, tu te souviens ? En même temps, normal, on était passé à quelques milliers dans la fosse.
Je ne te parle pas d'Arles en 2000. Commenciez déjà à être perchés comme des hiboux. Ce qui annonçait votre dérive intersidérale de Vaison-la-Romaine en 2001. De vieux habitués, voilà ce que nous devenions. Sans parler de Nîmes en 2003, repositionné dans le calendrier après un orage historique à Vaison (2, le retour). La routine quoi.
Puis les mêmes arènes 9 ans après. Là, ça tournait au vieux couple, avoue?
Tout ça pour dire que si y en a un qui peut parler ici de votre évolution, il pourrait bien ressembler à bibi.
De sous-U2 en goguette en 93, z'étiez passés au statut de nouveaux maîtres du rock prog, ce qui ressemblait quand même à un sacré canular. Kid A et Amnesiac ressemblaient à deux coups de canon dans l'univers de la pop-rock-electro-prog: un groupe qui mariait consciencieusement différentes tendances était enfin capable de réunir esthètes exigeants et stades regorgeants.
Mieux, et pas loin de l'inouï: quelque chose dont on pourrait se souvenir sans honte 10, 20 ou 30 ans plus tard.
(En gros, une belle claque aux emportements incessants et redondants des Inrocks).
Des souvenirs pleins les esgourdes, comme cet album arrivé massivement défectueux, dont il avait fallu ouvrir les 500 copies pour séparer le bon grain délivré, avant se s'acheter en douce un exemplaire décalibré, pour spéculer sur une revente 20 ans plus tard qui n'arriverait forcément jamais, parce qu'une collection se conserve jusqu'au bout.
Sauf qu'à un moment, l'innovation, l'expérimentation, et la prise de risque ont tourné comme une vinaigrette sans amour déguisé en frigo, ou une piscine abandonnée par sa pastille de chlore: en une mousse familière à laquelle on reste attaché, mais devenue franchement un peu verdâtre.
Le sillon était creusé, l'inspiration se faisait soudain formule, et on commençait à regretter (ou espérer) un vrai new Yorke. Le passé se transformait alors en un résumé de nos meilleurs espoirs et on envisageait tristement la rétrospective en plusieurs Thom. L'avenir commençait à ressembler aux érections matinales d'un quinqua marié depuis un trop longtemps: un truc furtif et régulièrement décevant.
Tu pouvais parcourir les quatre coins de la carte du vieux monde, Thom, arpenter les océans et les montagnes, rien ne semblait plus pouvoir nous appâter, pas même la promesse d'un Radiohead des Bermudes ou un Thom de Savoie.
Et puis arrive ce bien complexe A Moon Shaped Pool.
Un album en forme de château de cartes dont chaque figure et chaque nouvelle couche peut contredire la précédente. Où chaque seconde est une promesse, une remise en question de la suivante, dont aucun moment n'est un condamnation ni une consécration. Un exercice d'hostile et d'estime, un pari permanent, dont il est impossible de déterminer avec un aplomb définitif si l'album est chaud ou froid, blanc ou noir, honnête ou roublard, paisible ou hargneux. Une sorte de dessert japonais constitué d'une glace enrobé d'une beignet brulant. Chaque morceau est un défi, chaque nouvelle écoute une énigme. Te dire si la complexité se ramifie: on ne sait plus vraiment si on adore le groupe ou si finalement on doit s'en foutre, et si au fond on doit réécouter son dernier effort ou non. Sauf que chaque nouvelle écoute, qui ne cesse de s'imposer, révèle son bonheur fugace. Toujours différent du précédent.
Ce qui rend le disque nécessaire, peut-être. Sans doute.
Et le tout sans que l'on ne puisse déterminer franchement s'il s'agit d'un petit chef-d’œuvre vénéneux ou un nouveau chapitre voué à l'oubli.
Et si, finalement et ces temps musicaux mornes et répétitifs, la pop mystérieuse contenait en soi les propres jalons de son caractère indispensable ? Dont tu serais, cher ami, le doux sympthom.
Le nucléaire athom.
L'antithèse d'un fanthom.
Une seule chose est claire, au cœur de ce mystère: il faudra continuer à écouter a moon pendant une décennie ou deux avant de trancher définitivement.
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Créée
le 22 mai 2016
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