Je ne suis pas de ceux qui pensent que le rap soit péréclitant ou même, qu'il soit l'excavation de la culture française. Sûrement que l'adjectif « réactionnaire » puisse souligner mon esprit, mais « fermer d'esprit » beaucoup moins.
C'est naturellement que je fis connaissance du rappeur Nepal quand l'oracle de Delphes numérique, appelait Twitter en langage vernaculaire, l'annonça comme mort.
Je comprends qu'il soit difficile de vivre l'absence d'un être que l'on espérait patient quant à la finalité de sa vie. Mais les Parques ont ceci de monstrueuse : c'est elles seules qui décident de ravauder les fils du temps ou non, personne d'autres. Et il faut l'accepter.
Il y a des êtres auxquels on aime l'existence indéfiniment qu'une fois perdue il y a en notre conscience un froid désert qui substitue notre imagination ; dont d'une part va combler les vides et d'autre part va être enchaîné par l'illusion. Il est ainsi donc essentiel de contempler nos pertes dont nous sommes soumis pour faire, de la douleur, la forme la plus pure.
"Devenue balance du corps" (Vexilla regis)
Cessons palabres et justifications, passons à la critique :
Dans le rap, Nepal est un califourchonier timide et mystérieux, ne voulant pas montrer l'abat-jour de son visage, il décida de le farder par un semi-masque. Honnêtement, je le voyais comme un individu lambda parmi ces coreligionnaires du rap. Mais cet album m'a bizarrement touché.
Le fait qu'il soit post-mortem est une chose, outre cela, il a ces imaginations mélancoliques toujours adoré par les âmes en ruines. L'album dégage d'immortels effluves de tout son âme, à présent disparue, qu'elle abrita autrefois et qui les avaient oxydées de leurs joies ou de leurs douleurs.
Nous suivons le rythme de l'album comme un corollaire suit un axiome et nous pouvons dès lors saisir, à l'instant que nous l'écoutons, ce que le critique littéraire Maingueneau appelait dans « Le discours littéraire » l'espace paratopique. Si chez le linguiste Benveniste le discours est proche de l'énonciation, chez Maingueneau il faut mettre en relation l'espace et le discours. La paratopie est la négociation entre le lieu et le non-lieu ; l'auteur à la fois hors de la société rendant sa voix singulière, et à la fois dans la société, la rendant en définitive accessible. L'espace de Nepal n'est ni hors, ni dans, elle est au dessus. Nepal est dans le lieu-supra céleste. Et il n'a en aucun cas construit la condition de sa propre création, il est la condition. Le rappeur se trouve au champs de l'intelligible, de l'immuable, de l'infini et ses signes exaltent son verbe volubile. Il combattait, l'air de rien, la vie comme le Belluaire au fauve ; et, excepté le morceau hétérozyngotique avec nekfeu, son âme transsude chaque morceau et son phosphore mélanien traînait sa lueur sur l'obscurité de ses mots.
Nepal était un musicien respectable et qui aimait la musique. Et comme chaque musicien qui se respecte, sa vie fut l'appogiature de la mort. Contrairement aux Tabarin du rap, il ne pataugeait pas dans de vieillots arsouilleries. Par delà les oripeaux de la musique, je m'étonnais même de la sobriété du personnage.
Il nous est difficile d'écouter un morceau du rappeur sans penser à sa mort, de la même manière que Kleist ou Isodore Ducase (décédé aussi à 24 ans), c'est comme si sa fin précédé sa discographie. A présent, il demeure dans le ventre mou de la lune, tout près des étoiles où il repose en paix.