Le mot "subversif" a été galvaudé de manière à nous paraître qu'un simple apparat ou un colifichet quelconque lorsqu'il est chanté par un artiste quelconque.
Freeze Corleone est l'un de ces artistes quelconques.
Combien est-il gênant quand je le vois être porté en prêtre qui va sauver les lycéens bourgeois en manque de sensations fortes. Je ne peux m'empêcher de penser au dit de La Sainte Vierge à la Salette : « Les prêtres sont devenus des cloaques d'impureté ».
Je ne cesse de prédire que le rap descend comme on n'est peut-être jamais descendu, jusqu'à parvenir aux consommateurs hébétés dès lors que leur risible art du rap réhabilite un autre discours que leurs références habituelles. C'est-à-dire le pognon, le cul, le re-pognon et le re-cul.
Le rap de Freeze sort peut-être des sentiers battus par rapport à ce que nous avions l'habitude d'entendre ces temps-ci. Il existe, c'est déjà très bien. Il fallait au moins une voix séraphique dans le ténébreux concert où cabotinage rime avec apanage et où opprobre devient un discours infrangible devenant ainsi un style à part entière appelé « egotrip ».
Or, Freeze Corleone est en réalité qu'un cathéter de plus dans le trou-du-cul du rap.
Pentapoles de lieu commun complotiste, le style qui devient serpigineux par trop de comparaisons, flow claudicant, voix par laquelle sort inanité sur inanité. Rien de bien nouveau dans la foire du rap. Bizarre effort en vérité auquel vous soumettez son style... Surajoutons à tout cela un mysticisme presque vulgaire dont le vitupérable impureté d'âme du membre du 667 ose donner le mensonge historique à l'authenticité même.
" Du Mysticisme exalté au Satanisme exaspéré, il n'y a qu'un pas. Dans l'au-delà, tout se touche." disait Huysmans.
Que le 11 septembre fut un complot, on le sait tous ; que l'Irak n'eut jamais de bombe nucléaire, on le sait tous ; que les guerres sont juste un prétexte pour voler des ressources, ça aussi on le sait tous. D'ailleurs il suffit d'ouvrir un manuel de 6ème pour comprendre tout cela.
En outre, ce que les chroniquecailles donnent aux flûtenculs du rap l'adjectif « subversif » est en réalité que le prolégomènes du manuel « comprendre l'empire et ses complots pour les nuls – programme 6eme B ».
Va, va lecteur anthropopithèque, va appeler ton épagneul : « Freeze Corleone sauve nous du rap ! Ô toi le subversif, ô toi qui oses dire ce que tout le monde pense tout bas (que les politiciens sont des pourris en gros), ô toi qui es censuré par la fnac... Sauve-nous ! ». C'est ainsi que la horde teutonne écumante : sucé par les Inrocks, subtilisé par Colors, et Vice encore plus thuriféraire que les autres. Le fameux dissident considéré et fortifié par les médias. Je pense à ces Sankara, à ces Ezra Pound, à ces Vincent La Soudière, à ces Ghérasim Lucas qui furent particulièrement dissident et dont ces mêmes médias, auparavant, les envoyaient au cachot, au barâthre ; les poussaient au suicide, sans orchestres ni larmes.
Leurs inamovibles médiocrités font naître en moi un sentiment instinctif d'ennui et de prévarication. En ce qui concerne les médias rapologiques, je n'en dis pas plus, ça doit être ardu pour l'âme des journalistes de pratiquer un métier qui consiste à vendre son esprit à tous les prostibules.
Finalement le terme de « rappeur subversif » ou « dissident » est presque oxymorique. Nous ne sommes pas aussi bien ancrés dans la société que lorsque nous sommes rappeurs. Le rap est d'ailleurs l'instrumentalisation même de la société qui fait du rappeur un « antisystème pour le système » tel le soutient Christopher Lasch. Il continuera ainsi dans Culture de masse ou culture populaire ? :
"Les écrivains et les intellectuels, de leur côté, doivent prendre conscience que les médias de masse ne donnent accès à une plus large audience qu'en imposant, en même temps, leurs propres conditions."
Le XVème siècle a donné matière à la poésie populaire et à la poésie lyrique une poésie qui se fait désormais en musique. Ce lyrisme se nourrit de sublime et d'élévation ; et fonctionne selon les marques de l'oralité. Elle devint ensuite le rap dans les années 60. Si pour qu'il y ait poésie il doit y avoir oralité, alors pour qu'il y ait oralité il doit avoir le Dire. Néanmoins les rappeurs ne disent plus rien, ne sondent plus personne ; force est de constater que Freeze Corleone gît lui aussi dans ces ballets sans musique, sans personne, sans rien.