Qu'elle est étrange l'ascension de Freeze Corleone dans le rap français, pourrait pourtant paraitre classique dans cet enchaînement 'collectif underground -> première citation par d'autres rappeurs en interview -> création d'une fan base via un public averti -> gain en popularité sur le devant de la scène'. Là où Freeze se démarque c'est dans toute la mythologie construite autour du collectif 667, cet univers pseudo cryptique à base de « MMS, LDO, NRM », jusqu'au vocabulaire particulier, s/o les mots anglais francisés et jusqu'au refus d'interview. Création alors d'un bon groupe de fans s'identifiant, ou plutôt, voulant faire partie de « la secte », « le clan », l'ekip.
Avec LMF, Freeze Corleone pousse au plus loin son personnage de sans gêne, celui qui n'a pas peur de ses mots et encore moins des références qu'il utilise. Toujours plus sombre avec des paroles et un flow toujours plus aiguisé, marque de fabrique du Chen Zen.
Là où LMF satisfait, c'est en fait dans l'ADN même de Freeze, des références sorties tout droit d'une large culture, aussi bien rap que geek, sportive que street, littéraire que G. L'écriture unique du rappeur permet une véritable décharge de punchlines et d'assonances qui nécessitent jusqu'à avoir les paroles sous le nez pour en comprendre le sens, mais même sans ça, la technique ne peut qu'impressionner et cela dès les premiers mots de l'intro, avec Freeze Raël qui restera selon moi le meilleur morceau de l'album :
« Freeze Raël, sur la prod', kicke comme Israel
F/ck ces n/gres comme Israël
Chen Laden dans l'complot comme les Ben Laden,
Chiraq comme JB Binladen »
Si Freeze avait déjà montré qu'il se foutait complètement de l'image que renvoie ses références - on se souvient tous de la phase sur ce fameux dictateur allemand des années 30 dans l'incroyable Bâton Rouge - il ne lésine pas non plus dans LMF avec quelques nouvelles dingueries qui ne manqueront pas de révolter les plus sceptiques à son sujet :
« New York Cité, capuche pointue comme un membre du Klan »
- Logo Audi
« J'les mets d'accord avec deux barres
(…)
S/o le Roi, 500 n/gres avec deux bars
Chen Laden dans l'complot depuis les deux tours »
- Chen Laden
Toute cette maîtrise dans son univers montre à nouveau le talent de Freeze Corleone, notamment dans cette faculté à enchaîner les « rimes faciles » qui ne le sont pas du tout en réalité, en alignant les rimes sur les mêmes mots, avec des sens différents :
« F/ck le 12 f/ck le 9-1-1, dans l’complot depuis le 9/1-1 ;
P/tasse, Inch’Allah, bientôt, j’baraude en 9-1-1 »
- Tarkov
« Faut que j’pèse comme si j’joue chez les Galaxy,
6.6.7 comme les trous noirs dans les galaxies
La Menace Fantôme dans ton téléphone,
il prend feu direct comme les premiers Galaxy »
- Stretch 4
N'oublions pas bien sûr les productions, s/o Le Flem pour le travail de qualité sur la majorité des morceaux, pour accompagner ces lyrics violents avec des productions sombres et intenses (encore une fois, celle de Freeze Raël est incroyable et fait littéralement trembler mes murs).
Malheureusement, ce tableau d'apparence parfaite vient se ternir à l'arriver des featuring, trop nombreux et trop peu réussi - si l'on met à part les tueries de Alpha Wann et de Stavo (ce dernier étant un choix parfait pour cette ambiance) - alors les collaborations sont au mieux sympa, au pire complètement naze avec Despo Rutti et Roi Heenok, les deux alcoolos de Barbès supplément haleine clope. D'autant plus dommage venant de Despo qui a pourtant sortie parmi les punchlines et textes les plus sombres et controversés du rap français qui aurait pu coller à fond avec le style de Freeze. Cette surenchère de feat dégage forcément moins de bon pour l'ambiance de l'album, le rendant en plus un peu trop long, là où Projet Blue Beam savait s'arrêter au bon moment.
La quintessence du style de Freeze est, je pense, atteinte dans LMF, reste à voir comment sera effectué le renouvellement par la suite.