Je souscris avec élan à cette parole forte d'un ami me soutenant que la drill n'est qu'un exégèse de lieu commun en variation rythmique. Avant on avait la trap, désormais on a la drill. Cependant Ziak est un acteur singulier par rapport à ces mérinos calamistrés et égarés du rap pour la bonne raison qu'il tend à sa dénégation de la vie une sublimation de la mort. Rien de bien nouveau dans la foire du rap, certes, je l'entends, sauf que par rapport à ses prédécesseurs les occurrences gutturales de Ziak sont chargés d'érotisme. Et pas n'importe quel érotisme, un érotisme symboliquement phallique, ithyphallique, en bref homosexuel.
Le dictionnaire d'Oxford de 1872 définissait l'homosexualité ainsi : « passion sexuelle morbide, plus ou moins exclusive, pour une personne du même sexe » bien que totalement déplacée à l'endroit des homosexuels, Ziak honore son accointance avec les peintres réalistes et les impressionnistes qui réhabilitèrent les chronicailles d'art. Il n'est pas dispensé de rappeler que les termes « réalisme » et » impressionnisme » furent initialement une insulte réutilisée par lesdits artistes, pourfendant ainsi la critique en ne disculpant aucunement le caractère marginal de leur art. Ziak ne cherche pas à palabrer, ni à prendre la place de ses velléités de colères, il loue la marginalité en affirmant par la négation, en construisant dans la déconstruction ; niant la vie par la mort, il construit la Génèse depuis la Fin. Ma vision peut vous paraître sibylline, car tout est dans le Symbole.
Depuis les années 1970, les termes de gays renvoient à une autre idéologie. Être gay, c'est se situer aux marges de la société et considérer que le mouvement gay et lesbien ne doit pas se séparer des autres luttes politiques. Telle est la position défendue par Dominique Fernandez dans L'Amour qui ose dire son nom : « être homosexuel, ce n’est pas seulement préférer les personnes de son propre sexe, c’est se tenir en marge de la masse de ses semblables, penser et agir différemment, apporter dans le consensus social un ferment de révolte et de discorde. ». En partant de ce constat, comment se manifeste l'homosexualité chez Ziak ?
La lecture Freudienne inclut le désir qui se présente comme le tourment de l’homme. L’Autre, c’est-à-dire l’inconscient, en est le lieu. Le désir homosexuel trouve son symbole dans le phallus, élément signifiant essentiel, le centre autour de quoi va s’organiser toute sa construction. C'est pourquoi le « je » de Ziak qui n'est rien d'autre que son "moi" ne cesse de pénétrer avec son couteau l'Autre, corroborant à cela l'imagerie de ses clips dans lesquels de nombreux chourineurs s'introduisent dans la crevasse de l'Autre. Rien de plus limpide, je demeure certain que tous ces symboles sont une sorte de parturition artistique chez notre rappeur.
Dans ce cas, pourquoi donc l'Autre est représenté comme mort ? Pourquoi le vit-on mourir, au moment même où il expira dans les textes de Ziak ?
Ce je ne sais quoi d'horrible et d'exsangue s'explique dans le fait que notre rappeur construit une consubstantialité entre le sexe et la mort, entre l'Eros et Thanos. Le célèbre auteur Georges Bataille a merveilleusement expliqué le substrat mystique entre la mort et l'érotisme ; tout comme chez Ziak, à travers les douleurs d'un sujet coincé entre névrose, dénégation, fétichisme, Bataille sonde la fonction symbolique menant vers une impasse, une impossibilité. Ces moments de crise du sujet, il en parcourt les détours, montrant à quel point agressivité et pulsion de mort sont liées à l'érotisme anal. Dans l'album, l'écriture rythmique ne peut résoudre cette impossibilité, pis encore, il les déploie d'autant plus. Par conséquent, la haine destructrice, conduisant à la négation, débouche sur la vérité de la vie, sur la vie des contraires, sur l'exubérance du désir. Bataille soutiendra ce tout : « Il existe un point où un primitif devient deux. Dès qu'il y a deux, il y a de nouveau discontinuité de chacun des êtres. Mais le passage implique entre les deux un instant de continuité. Le premier meurt, mais il apparaît « dans sa mort » un instant fondamental de continuité de deux êtres. »
Les coléoptères diront que j'abuse, que mon analyse est mastubatoire, en exaltant le sempiternel lieu commun de la surinterprétation... Que voulez-vous ? Réfléchir sur Ziak consiste fondamentalement et essentiellement à analyser la relation qu'il impose aux auditeurs avec ses textes : Mort et écriture ; érotisme et langage ; homosexualité et image.