Alive 1997 (Live)
7.7
Alive 1997 (Live)

Live de Daft Punk (2001)

Je suis un enfant de mon siècle.
Celui des guerres asymétriques et hybrides. Celui des émissions live de 35h d'un présentateur omnipotent qui vient défrayer les chroniques. Celui encore des médias et de l'information de masse. Rien n'a jamais circulé aussi vite et aussi haut que ce jour si ce n'est, sans doute, demain, mais demain c'est loin, comme disait l'autre.
Nous faisons peut-être parti de ces gens amers, qui regrettent la tournure des choses sans vraiment se convaincre qu'un changement, toujours plus nécessaire, reste à notre disposition. Non notre portée, car elle devient à chaque heure qui passe plus ardue et distante du pouvoir qui nous coule des mains, remplacé par d'autres, des machines, des services. Le système nous étouffe enfin et à la lumière de récentes lectures (Éloge de la fuite, H. Laborit, 1976), il me semble de plus en plus évident que l'homme, à son unité, ne peut plus rien pour son humanité aliénée de toute part. Un bouleversement profond, un tabula rasa est impératif à une remise à plat et à neuf de nos systèmes, sociétés et conditions afin d'enfin respecter l'idéal du verbe "être" admis à chacun et en mettant fin aux vices, aux politiques austères et déshumanisantes, aux comportements indignes et sans vergogne de nos semblables. Ce discours que l'on qualifiera d'utopique ou humaniste, sorti de ma bouche, moi qui ai depuis longtemps rendu les (l)armes, je me surprends à le proférer. Une prochaine lecture des paraboles des Évangiles me confortera dans l'amour que je pourrai transmettre, le pardon que j'accorderai aux comportements de mes camarades (y pointe de la condescendance diront certains, je ne devrais, selon les leçons d'un "illuminé", ne pas juger mes propres juges), et m'amèneront peut-être à repenser ma manière d'être au quotidien, mais en attendant, je me présente sous un jour plus sombre: j'ai un découvert délicieux que je ne puis solder, plus de carte bancaire ni de liquide (on comprendra donc un peu mieux ma démarche de "hippie" dans cette introduction), mais il me reste quelques biens bientôt sans valeurs pour survivre en la matière de quantité de pages à lire d'auteurs divers et classiques ainsi que quelques disques qui me sont tout aussi chers à réécouter. C'est en passant sur la page de ce dernier, que j'adore (inutile de le cacher, c'est l'un de mes préférés pour des raisons que nous dévoilerons plus bas), que je vis, et ce malgré son nombre de notes (relatif par rapport aux autres productions du duo français - ratio de 1 pour 4 minimum), qu'aucune critique ne semblait s'intéresser à celui-ci. Et pour cause, bien que sa note SC soit satisfaisante, celles de mes "éclaireurs" sont toutes en dessous de la moyenne.
Parce que j'ai décidé de ne plus critiquer que ce qui n'en valait la peine à mes yeux (des coups de coeur ou à l'inverse des déceptions; en plus de faire attention à ce qu'il ne traîne pas une dizaine de prédécesseurs qui viennent apporter la confusion dans l'esprit du lecteur), je m'attaque ce matin au live d'un set du plus célèbre duo de notre ère, paru en 2001 et qui donna naissance à la trilogie sur laquelle bave ma génération, à savoir la fameuse tournée de la décade. Il n'en est rien car je n'attends rien de 2017, si ce n'est une expulsion dans le tiers-monde ou une meilleure récolte de cerises pour la région sud-ouest, et après cette longue introduction verbeuse, je vous souhaite une bonne écoute et lecture, frères.
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Originalement sorti sur le Daft Club Service avec un accès anticipé pour les heureux acheteurs d'un édition limitée de Discovery, ce live enregistré en novembre 1997 à Birmingham est l'un des derniers de leur tournée promotionnelle Daftendirektour pour la sortie de Homework, leur premier album, en janvier 1997. Il est le fruit d'une sélection des deux compositeurs (Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo) de la plupart de leurs prestations live et a été mis à disposition de leur fan club sélectif en téléchargement d'abord puis à la vente quelques mois après la parution de leur second album mine à hits, Discovery. Si le Daft Club Service sera fermé en 2003 et que les quelques titres mis à la disposition des fans se retrouveront sur la compilation du Daft Club (paru en décembre 2003), ce live suscite tout de même une surprise chez l'auditeur qui s'attache à l'ordre de parution des disques - rares - de Daft Punk. Discovery établit à lui-seul la définition de French Touch: cette house pop, au son pointu et au soin particulier, où l'on retrouve mêlés Chicago et Detroit, les piliers de la house, de la funk et du disco. Alive 1997, lui, vient ponctuer et mettre un terme au règne des rave party, de la techno folle et festive qui laisseront leurs place et peau aux dancefloor du monde. Alors quelle idée vient piquer le duo? Avant Discovery, Alive 97 représentait la première période de Daft Punk, celle de la techno issue des synthétiseurs analogiques, des prémices mais non encore de la complète informatisation des signaux électroniques loopés, vocodés ou que sais-je. On est encore dans du manuel, des instruments à programmer, qui émettent des signaux et que les deux jeunes s'amusent à bidouiller et triturer (Rollin' and Scratchin' ou Rock 'n Roll pour exemples, sur l'album Homework). Tandis qu'en 2001, on est déjà passé à l'aire du numérique et qu'en lançant la galette de Discovery dans le lecteur pour lui laissait diffuser ses premiers samples et ses kicks caractéristiques, on comprend que le monde a changé pour le duo et qu'entre les albums de Homework et Discovery, ils ne sont pas restés sur leurs acquis mais ont trouvé le temps de mettre à jour leurs connaissances du milieu de la musique électronique, monde à l'instar de l'informatique auquel il est indubitablement lié, en évolution rapide et perpétuelle depuis quelques années; le duo nous sort ce live d'un temps quasiment révolu. Alors certes, il répond sans doute à une demande et à une popularité toutes légitimes mais il a été bien vu de n'en pas faire l'élément de campagne d'un album (Discovery donc) qui n'avait alors, avec lui, rien à voir.
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Ceci étant dit, je me vois dans l'obligation de me pencher un peu plus sur le contenu du disque plutôt que son contenant et sa symbolique. Mais là, je crains de n'avoir en fait qu'assez peu de choses à dire. Ce live choisi de la tournée de 97 est celui dont la qualité d'enregistrement est la meilleure, de tous les autres bootlegs (enregistrements ou diffusions non officiels) qui peuvent se trouver sur la toile (je pense aux lives du Pukkelpop et du Rex de Paris dont les qualités audio sont moindres sans être révoltantes), est d'après moi, un tour de force. On retrouve bon nombre de morceaux issus de l'album Homework (qui restera mon préféré bien que ce ne soit pas celui avec lequel j'ai grandi), des improvisations, d'une partie du remix d'Armand Van Helden de Da Funk et un sample mystérieux à la trente sixième minute (Pulsar par Retro/Grade, sorti à posteriori en 2010 en version digitale, je n'ai pas pu éclairer l'énigme de sa présence, sans doute que quelques fans avertis sauront démêler la situation pour moi). L'ambiance est folle, le set alterne accalmies et moments de pure transe dans ses quarante-cinq minutes, bref, un des très rares instants de techno (voir de musique à l'instar d'un Pink Floyd par exemple ou d'œuvres totales) que l'on ne s'autorisera pas à couper, une fois lancé, sous aucun prétexte.
Vient alors que pour moi, ce live a une histoire toute particulière. En effet, il y a quelques années je travaillais comme coursier à vélo dans la capitale et avait pour mission de livrer des plis pour divers clients et parfois avec une contrainte de temps particulière que nous appellerons "Express". Trouver l'expéditeur, prendre le colis et le livrer au destinataire en moins de cinquante minutes dans tout Paris est parfois une mission difficile et vous comprendrez par vous-même, que par stress, obligation, traffic, cet allié à la durée miraculeuse que fut Alive 97, rythma nombre de mes courses.
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Mais outre ces quelques éléments, lors de ma dernière écoute du live sur une installation hi-fi modeste mais tout de même fort acceptable (qui changeait de mes écouteurs et du chaos parisien, vous comprendrez), je me rendis compte d'une chose qui me poussa à écrire ces quelques lignes. Ma mémoire, bien que faillible en bien des points, ne m'assura pas de l'existence antérieure ou semblable de mythes tels qu'on a pu les connaître à nos aires numériques comme Aphex Twin ou Gorillaz (le deuxième cas est un peu plus complexe, mais pour nous, enfants à l'époque, l'idée qu'un seul homme se cachait derrière ce groupe était impensable et sublime à la fois). Daft Punk, bien qu'ayant longtemps voyagé sans masque et à découvert (dans les périodes précédant leur célébrité et la sortie de Homework), sont devenus un mythe à chasser à part entière. Deux stars dont on ne connaissait plus ni la voix ni le visage (c'est d'ailleurs une petite dragée que l'apparition d'une discussion en français entre les deux musiciens à la trentième minute, sur laquelle bien des fans ont dû spéculer), dont les apparitions et collaborations (qui n'ont pas manquées entre 95 et 2003, par exemple la carrière solo de Bangalter, Le Knight Club dans lequel officiaient Homem-Christo et Eric Chédéville, ou les maxis Stardust, Together ou d'autres) étaient épiées et marquées de leur sceau l'actualité musicale.
Mais c'est aussi un symbole que cette vie à couvert. On se rappelle aisément des vies fastueuses des artistes de tout poil de nos années soixante dix et plus. La célébrité tumultueuse et les excès des Stones, l'hégémonie puis la sombre fin des Beatles et tant d'autres groupes (je pense à Queen, Johnny chez nous, les exemples ne manqueront pas) ont été ouvertement évité par ce mystère entretenu et savamment pensé (de là à dire qu'il s'agissait de marketing, le question reste volontairement en suspend car je n'ai moi-même pas envie de la traiter).
Cependant, si cela me venait tout à fait à l'esprit, c'est que les balbutiements d'une thèse, d'une théorie naissait en moi. Si on a coutume de ressasser le galimatias, poncif éculé du "rock is dead", cela a été peut-être possible durant une certaine période de l'imaginer mais en réalité, le nombre de groupes qui ont officiés à plus ou moins grande échelle, prouvera que le flambeau a toujours été hautement et brillamment tenu. Mais enfin, si les temps ont changé, que les demandes du marché musical ont bousculé un tant soit peu les codes de diffusion et production musicale, que les aigris diront qu'on fait de plus en plus de merde à grande échelle, où est donc passé notre bon vieux Rock and Roll?
Eh bien mes amis, l'écoute d'Alive 97 m'a remis les oreilles en face des trous. Ici. Certes le rock a bien changé. Son public pas tant. On se met toujours des races, on prend des pills et on se donne à fond. Mais Daft Punk, n'est-ce pas l'oeuvre de deux musiciens qui formaient au début des années quatre-vingt-dix un groupe de grunge appelé Darlin' qui fut traité par un critique anglais de "punk stupide"? N'est-ce pas simplement et presque exclusivement des tempos rock classiques (et les fameux quatre temps respectés avec scrupule) et surtout deux parties: une rythmique et une soliste, attribuées à chacun des deux musiciens dont les rôles étaient de tenir la basse (Thomas) et l'autre la guitare (Guy-Man), qui composent toutes leurs instrumentations? Nous retrouvons dans Alive, l'essence de ceci, exacerbé qui plus est par l'alternance, le jeu et la cohésion des deux musiciens. Oui Daft Punk avait ce côté très accessible, très pop, mais aussi je le soutiens, très rock dans ses premiers temps (et on voit le retour des guitares dans Aerodynamic puis plus tard sur l'album Human After All jusqu'à la funk de leurs dernières sorties).
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En soi, la révélation n'est pas forcément de taille, peut-être vous l'êtes-vous même déjà faite mais pourquoi, pourquoi personne n'a-t-il avant moi vanté les milles et un mérites de ce disque? Écoutez-le, il en vaut vraiment le coup. Ca zouk, ça bouge, ça déménage. Ok on vous prendra pour un drôle ou un épileptique mais merde, it's only rock n roll (but I like it).
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Mes hommages messieurs, dames.

Albion
10
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le 26 oct. 2016

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Albion

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