Deux des meilleurs disques parus cette année nous viennent tout droit du pays de la tourbe, et sur le même label, Rock Action Records. Mogwai et Arab Strap font leur comeback à quelques semaines d’intervalle ; heureux hasard de calendrier et confirmation d’un état de fait : ces Ecossais là ont tout simplement forgé deux des plus belles identités du rock indépendant depuis vingt et quelques années. A l’image de leur pays, Mogwai et Arab Strap, à leur meilleur (et c’est le cas ici), cultivent rugosité et majestuosité dans un même souffle épique puissant.
On avait un peu oublié les premiers après quelques albums plus dispensables. On n’osait imaginer la résurrection discographique des seconds, malgré une reformation pour quelques festivals depuis 2016. Ces retrouvailles (au sens musical et physique du terme, puisqu’Arab Strap sort As Days Get Dark sur le label créé par Mogwai) au sommet ont évidemment une saveur particulière car ces deux groupes ont marqué le tournant du deuxième millénaire d’une empreinte indélébile. On a beau dire que ce sont plutôt Slint et Tortoise qui ont initié le mouvement post-rock, mais c’est bien Mogwai qui l’a ouvert au monde en imposant le sien, creusé de fulgurances sonores et de tissus mélodiques identifiables entre mille. Mogwai au tournant des années 2000, c’était la BO parfaite d’un voyage dans ces highlands au climat tumultueux. Sur As The Love Continues, le combo glaswégien renoue avec ce goût de l’héroïsme qui commençait à lui faire défaut, notamment sur Every Country’s Sun (2017). Mais Stuart Braithwaite et ses acolytes ont enfin digéré le départ de leur guitariste emblématique John Cummings en 2015, et les synthétiseurs de Barry Burns, au premier plan désormais, n’ont jamais semblé aussi amples. Que Mogwai retrouve sa grandeur par les claviers, le geste est beau pour un groupe longtemps tourné exclusivement vers la six-cordes.
La musique d’Arab Strap a toujours eu un côté plus urbain, avec ses beats old-school et le slam crasseux d’Aidan Moffat, tout droit sortis de la cave d’un pub enfumé. Mais les guitares somptueuses de Malcolm Middleton, qu’elles soient acoustiques ou bardées de delay, dessinent depuis leur début de carrière des paysages désolés au ciel déchiré. Une bande son rêvée, encore une fois, mais plutôt d’une balade aux atours brumeux du Loch Ness, une flasque de whisky dans sa poche revolver. Résumons les choses ainsi : Arab Strap, c’est tout simplement le mariage de l’un des meilleurs paroliers et de l’un des meilleurs songwriters de leur génération. Mais il faut ajouter à cela deux qualités supplémentaires et pas des moindres : déjà, Aidan Moffat ne se contente pas de maugréer, il sait chanter ; et quand il le décide, les mélodies de Middleton prennent des atours de tube pop (le magique « Bluebird » et son refrain à tomber). Ensuite, Middleton n’est pas seulement un guitariste extrêmement doué (chaque son de guitare est un diamant poli), il possède également une science diabolique des arrangements. Homme-orchestre, il sait précisément où placer un motif de piano, de synth-bass, de cordes ou de saxophone pour transcender ses compositions sans sombrer dans l’accumulation. As Days Get Dark est à ce titre l’album le plus dense d’Arab Strap ; le plus monumental, d’une certaine manière.
Ne feignons pas notre plaisir : retrouver Arab Strap et Mogwai à un tel niveau en 2021 est à la fois complètement inattendu et la confirmation que l’Ecosse, malgré sa faible population (approximativement six millions d’habitants), abrite un incroyable vivier de talents pour les amoureux de la pop sous toutes ses formes (se rappeler Sons & Daughters, Belle & Sebastian, Cocteau Twins, Simple Minds… entre beaucoup d’autres).