Les Pixies sont un cas difficile pour n’importe qui ayant eu la chance de se prendre "Surfer Rosa", puis "Doolittle" en pleine face alors que les années 80 synthétiques allaient déboucher sur une nouvelle radicalité sonore la décade suivante. Le fait que peu de groupes dans l’histoire du Rock égalèrent jamais la folie furieuse et l’excitation incontrôlable que généraient les apparitions live de la bande à Black Francis rendit évidemment l’improbable résurrection du groupe extrêmement « dangereuse » : dieu merci, nous n’eûmes jamais à assister à une reformation des Beatles, du Velvet Underground (juste un concert parisien, qui nous fit un peu froid dans le dos…) ou des Smiths ! Le retour des Pixies eut donc tout de la malédiction, et leur décision de refaire des albums ne pouvait que conduire à une consternation générale. Deux albums franchement honnêtes, si on est soit-même prêt à oublier l’incroyable grandeur passée du groupe, n’aidèrent pas à nous rendre optimistes. Sauf que l’arrivée de Paz Lenchantin, et son enthousiasme presque naïf sur scène conféra une étonnante nouvelle fraîcheur aux vieux briscards fatigués, et leur passage au Zénith en novembre 2016 nous ramena miraculeusement pas si loin de la beauté frénétique de leurs sets des années 90 ! Quelque chose bougeait à nouveau chez les Pixies, et leur troisième album depuis leur reformation, le surprenant (oui, enfin !) "Beneath the Eyrie" confirme un véritable retour à la forme de nos vétérans.
Car à la différence de son prédécesseur, "Head Carrier", composé de bonnes chansons mais cherchant vainement à recréer les Pixies « première époque », Black Francis et compagnie semblent avoir décidé de passer à « autre chose », ce qui est logiquement le mieux qu’ils pouvaient faire, arrivés à ce stade… Ce qui est évidemment frustrant dans cet album à la fois gothique (l’album a été apparemment enregistré dans une vieille église, et ça s’entend !) et honnête, c’est que cette nouvelle direction est avare en brûlots foudroyants comme nous les aimons forcément. Il nous reste ici le très accrocheur "On Graveyard Hill", avec un beau motif de basse de Paz et quelques hurlements hystériques (enfin !) de Black Francis, et surtout le merveilleusement violent "St Nazaire", sans doute le meilleur moment de tout l’album quand on est français (encore un hommage à notre pays !) et qu’on adore avoir envie de se fracasser la tête contre les murs en écoutant les Pixies. Pour le reste, ce qui frappe dans "Beneath the Eyrie", c’est la qualité supérieure des mélodies, presque toutes excellentes, et rapidement mémorisables : "Long Rider" pourrait ainsi être un tube magnifique, si l’époque s’intéressait encore à ce genre de choses, mais on peut citer presque chaque chanson, puisque pour la première fois depuis leur reformation, un album des Pixies n’a pas de ventre mou (Bon, honnêtement, la conclusion, "Death Horizon", est vraiment légère par rapport à ce qui a précédé, mais les Pixies ont toujours eu du mal à terminer leurs albums, non ?).
Ce qui intéresse aussi ici, ce sont les tentatives, presque toutes réussies, de Black Francis de revenir à un style personnel qui évoque plus sa carrière solo (qui a dit : « en mieux » ?), et de chanter au moins quelques chansons intimes – en particulier sur la douleur de son divorce –, en recherchant d’autres structures et d’autres rythmes pour ses chansons. Certains évoquent un Nick Cave ici, d’autres un Leonard Cohen là : c’est grandement exagéré, mais ça a au moins le mérite de reconnaître que, enfin, on entend réellement sur "Beneath the Eyrie" de « nouveaux Pixies » !
La tournée du groupe qui passera par Paris ce mois-ci devrait, on l’espère, confirmer que nous avons bien affaire à une renaissance, ou au moins, à un vrai sursaut d’un groupe absolument essentiel.
|Critique écrite en 2019]
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