Depeche Mode, chapitre 5 : « Black celebration » ou la sombre mutation.

Il y a souvent un moment un peu délicat dans la carrière d’un groupe…c’est le moment où les gens comprennent que le dit groupe a le pouvoir potentiel de se changer en usine à tubes et de remplir quelques stades. Ce faisant le groupe est tiraillé : que demande le peuple? Encore des singles s’il vous plait! Toujours plus de « People are people »!!! Que veux le groupe en revanche? Sa musique lui appartient-elle encore? C’est sous le regard bienveillant de Daniel Miller leur producteur et manager bienveillant que Depeche Mode allait oser enregistrer l’album qu’il souhaitait faire : un album plus sombre que tout ce qui a précédé et théoriquement dépourvu de singles! Que les choses soient claires d’entrée de jeu…Depeche Mode n’y est pas parvenu…des tubes il en a toujours fait et en proposera toujours… »Black Celebration » même derrière son nom lugubre ne dérogera pas à la règle lui non plus! En revanche, il n’y aura pas de tubes au potentiel « planétaire » et il y aura un peu moins de singles que sur le disque précédent c’est clair…et puis l’atmosphère sera davantage gothique (comme sur le morceau de conclusion de « Some great reward »). La bande de Dave et Martin s’essaie donc à un juste compromis entre usine à tubes et belle oeuvre bien aboutie avec une réelle consistance!


Exit (ou presque) les thématiques politiques…ici Depeche Mode entame un virage un peu plus « mystique » et abstrait dans l’écriture ce qui donne lieu à des textes le plus souvent envoûtants où le talent d’écriture de Martin Gore (le meilleur song-writer que je connaisse) commence enfin à se révéler pleinement! Si donc l’on excepte « New Dress » morceau entièrement électronique et robotique très bizarre au rythme totalement cahotant et chaotique où une personnalité politique Anglaise de l’époque s’en prend plein la poire (une certaine mrs Di) les textes s’axent autour de trois thèmes qui deviendront récurrents chez Depeche Mode : la mort, le sexe, et la religion (ou quête spirituelle au sens large). Ainsi, l’ouverture mystérieuse du disque avec des voix étranges et perdues dans le lointain laissent la place à des notes de synthés lugubres et un chant plus que jamais affirmé de Dave Gahan : « let’s have a Black Celebration » nous ordonne ce dernier avec aplomb! Le morceau-titre d’ouverture fait parti des favoris à la fois du groupe et de la plupart des fans…sa mélodie palpitante et son atmosphère nocturne font que ce titre pue la classe! Mais pue encore plus la classe le deuxième morceau : « Fly on the wildscreen » où la performance vocale de Dave Gahan file carrément le frisson…oui enfin Dave devient petit à petit le grand chanteur que l’on sait! Autour d’une thématique inquiétante les synthés mènent la danse sur un rythme groovy…la mort y est décrite comme omnisciente (« partout » en tout cas) avec un chant affirmé et puissant sur les refrains qui a de quoi laisser sur les fesses!


L’album commence fort…mais c’est alors que vient un troisième grand morceau, un des principaux chefs d’oeuvre (et single) du disque et qui est pour le coup chanté par Martin Gore : « A question of lust »! Cette ballade est vraiment belle…je sais pas quoi dire de plus, les synthés créent un charme légèrement onirique et la voix de Martin Gore nous transportent littéralement du début à la fin… D’ailleurs en parlant de ça, fait exceptionnel sur ce disque : Martin chante non pas deux morceaux (comme il en a l’habitude) mais bien cinq! Hormis ce chef d’oeuvre mélodique qu’est « A question of lust » on retrouve également « Sometimes » courte ballade au piano sympathique, « It doesn’t matter two » (dans la lignée du 1 sur l’album précédent mais en plus sophistiqué encore), et « World full of nothing » qui n’est pas un grand morceau mais une ballade atmosphérique qui dégage là encore un certain charme onirique! Vous l’aurez compris…malgré quelques tubes, « Black celebration » est donc essentiellement un album à ambiance avec une vraie recherche musicale et des expérimentations plus poussées et réussies qu’auparavant (par exemple : les bruits d’horloge au début et à la fin de « Stripped » qui réapparaissent en ouverture du morceau suivant).


« A question of time » est exactement l’opposé de « A question of lust » en ce sens qu’il est un tube non pas axé sur la douceur mais sur la rapidité… Devenu un classique très rock en live, ce morceau est mené du début à la fin par une rythmique de plomb et un Dave Gahan au chant d’une justesse et d’une fluidité exemplaire. Quant-à « Stripped » sommet du disque et un des sommets incontestés du groupe (selon moi) ce n’est ni plus ni moins qu’un chef d’oeuvre (il sera d’ailleurs repris en moins bon mais en plus bourrin par Rammstein…preuve en est que le côté martial et froid de Depeche Mode aura même influencé le metal!). Ce morceau est une tuerie ultime à plus d’un titre…tout d’abord l’ouverture lente et mystérieuse, la façon dont raisonnent les paroles, la rythmique entêtante et mécanique, et surtout le refrain d’une puissance à couper le souffle : « LET ME SEE YOU STRIPPED DOWN TOOO THE BOOOOOOOONE!!!! » Bref, tout pue la classe ultime sur ce morceau…par ailleurs il faut absolument voir ou entendre la version live de 93 du « Devotional »…c’est sûrement la plus belle version qu’il soit possible d’entendre de ce morceau, d’une puissance à couper le souffle avec un public clamant le refrain comme si il était en transe!


Ces deux tubes là (« Question if time » et « Stripped ») ont pour la première fois ce que je nommerai un « potentiel stadium » c’est-à dire un potentiel rock de stade qui fédère les foules…ce n’est pas pour rien si le prochain album ira toujours plus en ce sens et si ces morceaux feront un carnage en live. Le mélange proposé par le groupe ici est assez étrange et unique et tend à s’éloigner de plus en plus de la new wave ordinaire…à mi chemin entre le rock gothique (ou cold wave mais en moins dépressif quand même), le rock de stade, et l’électro-rock le son du groupe gagne en consistance et en originalité…la plupart diront en maturité. « Here is the house » qui fait un peu pale figure juste après le monstrueux « Stripped » est une perle pop pas désagréable mais compte parmi ces quelques morceaux un peu moins immédiatement marquants du disque (« World full of nothing », ou même « Dressed in black » sur lequel Dave fait tout de même montre d’une performance vocale sidérante).


A cause d’un léger manque d’équilibre survenant vers la fin du disque, d’une production décidément très fouillée et intelligente mais encore bien 80’s dans l’esprit, l’album échappe de peu à la perfection. Plus consistant et affirmé que son prédécesseur (« Some great reward ») il est cependant un peu moins compact et direct que ce dernier…ce qui en fait un disque plus ou moins du même niveau mais avec un aura sombre caractéristique de la musique du groupe qui lui va à ravir. La voix grave de Dave Gahan…si elle commençait déjà à s’affirmer davantage trouve sur cet album un point culminant de justesse et de maîtrise qui ne fera que croître d’albums en albums.


Le tableau est dressé, le son est trouvé, le style aussi…Depeche Mode rentre petit à petit dans l’âge adulte…Ce disque très apprécié par beaucoup de fans du groupe l’ayant élevé au rang de chef d’oeuvre ne dévoile pas une densité ténébreuse aussi torturée et profonde que certains albums futurs du groupe…raison pour laquelle je n’irais pas jusqu’à lui donner ce qualificatif. Néanmoins, ce fût une vraie révélation pour Martin Gore en tant que compositeur : « Black celebration » est un album important dans notre carrière, j’aime tout ce que nous avons fait depuis… » nous dira l’intéressé des années plus tard. Une des pièces maîtresses de la discographie du groupe à découvrir ou redécouvrir si ce n’est pas déjà fait donc! Au prochain épisode…Depeche Mode humanisera un peu plus son son et partira à la conquête des stades et des masses avec… »Music for the masses »!

Venomesque
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le 25 nov. 2016

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