Avec Aucan, tout est question de dosage : dans leur premier album, le trio italien était avant tout un groupe de guitares saupoudrées d'une fine couche de claviers. Dans Black Rainbow, le rapport de force s'est inversé et les synthés ont pris le pouvoir. Et de ce changement d'instrument-roi découle un changement de style et même d'orientation pour ce trio basé à Brescia. En effet, Aucan est passé d'un post-rock tendance hardcore à un electro-rock tendance big beat, dubstep voire trip hop., Il est passé du statut de groupe bloqué dans l'underground à un groupe qui, dans une large mesure, pourrait devenir , mainstream (on est encore très loin de Justin Bieber, que tout le monde se rassure, !).
La musique est toujours riche et le groupe ne manque pas de talent mais Aucan a perdu en chemin une partie de ce qui faisait son originalité et même sa subtilité, : sur le précédent album, derrière les guitares abrasives et les rythmiques lourdes, les claviers montraient le bout de leur nez pour donner un contrepoint mélodique à l'ensemble, créant une sorte d'endroit préservé et lumineux derrière la violence rock déchargée par le groupe. Ils pouvaient rendre hypnotiques une musique coup de poing. l'équilibre était fragile et les Italiens réussissaient ce tour de force d'être à la fois puissant, racé et finaud.
Avec Black Rainbow, Aucan choisit surtout l'efficacité, : la production est accrocheuse et adopte le " gros son, " de synthés sombres et conquérants, de basses profondes et de programmations qui envoient. Instrumental à la base, le trio choisit même d'ajouter du chant sur certains de ses titres. Il y a la voix féminine d'Angela Kinczly invitée sur Blurred (sorte de Portishead vitaminé)., Il y a les membres du groupe eux-mêmes se lâchant sur Heartless ou Scund Pressure level ; des titres qui évoqueront la fougue de Prodigy avec des vocaux scandés dans un style à la limite du hip hop. Il y a aussi des voix samplées comme sur les volutes orientalistes de Underwater music, rappelant - et pas seulement par son titre - Smoke City.
Sur ce disque, Aucan met en scène un univers sonore synthétique où même les sons de guitares et de batterie sont retravaillés, harmonisés, déformés par des effets. C.'est un monde de matières et d'ambiances urbaines composé de nombreuses couches superposées, de textures et d'habillages dont l'agencement et la profondeur de champs ne sont pas sans rappeler le Massive Attack de Mezzanine ou les Français d'Idem. Le disque offre peu de respiration (si ce n'est sur la parenthèse atmosphérique réussie d'Embarque) et même va plus loin, dans le chargé : sur Away, avec son maelström de guitares, il se dégage de Aucan une vraie force Indus à la manière de N.I.N ou Sin. Tout ceci fait beaucoup de références flagrantes pour un album qui donne l'impression parfois de chercher sa formule gagnante. C.'est bien mais le groupe a perdu sa spécificité au profit d'un électro-rock efficace mais somme toute assez commun.
En résumé, Aucan tonne, bastonne, tâtonne, ne détonne pas mais n'étonne pas vraiment non plus.